La guerre de l'opium

donne plus.
    —  Pourquoi   ?
    —  Parce qu’ils ignorent que la femme rend au centuple le plaisir qu’on lui donne. L’idéal, c’est que la femme jouisse en même temps que l’homme.
    —  Selon vous, l’homme et la femme doivent prendre leur plaisir ensemble, comme les convives d’une table partagent un bon repas   ?
    —  Tu as tout compris. À ceci près que la Grande Fusion se situe bien au-delà du simple plaisir partagé   !
    Tang, qui buvait les paroles du vieil homme, était de plus en plus curieux et excité par les perspectives que ce dernier lui faisait entrevoir.
    —  Qu’est-ce à dire   ?
    —  La Grande Fusion s’adresse à la fois au corps et à l’esprit   ! Moi, je l’ai atteinte grâce à une femme. D’autres y réussissent par des méthodes, comment dire, plus spirituelles. Lorsque tu atteins ce stade, tu accèdes à la Chambre Pourpre de la Cour Jaune {21} … Tu deviens l’égal de l’Être Essentiel capable de vivre dix mille ans de plus… lâcha l’ermite d’une voix que l’émotion faisait vibrer.
    L’élève était estomaqué. Jamais ses professeurs ès rituels et convenances ne lui avaient tenu un tel discours.
    —  Atteindre la Grande Fusion, c’est atteindre l’immortalité   ?
    —  Du moins y tendre   ! Pour ce qui me concerne, j’entrevois ce qu’elle pourrait être…
    —  Vous croyez à l’immortalité, maître Vide Essentiel   ?
    —  Tu es encore trop jeune pour t’en préoccuper. Chaque être humain, à partir d’un certain âge, pense à faire reculer le moment où il doit mourir… Dans deux ans, j’aurai cent ans.
    —  Vous ne les paraissez pas   ! s’exclama le jeune Han qui ne s’imaginait pas qu’on pût vivre aussi vieux.
    —  La nature est indulgente avec moi. Elle me permet de continuer à vivre. Malgré mon âge, j’ignore ce qu’est la maladie. Mon corps résiste au gel et aux températures torrides de cette montagne. Tout cela, parce que j’eus la chance de pratiquer la Grande Fusion avec ma chère épouse   !
    —  Vous êtes pour moi l’exemple à suivre…
    —  J’ai eu l’immense chance de rencontrer mon complément féminin   ! Cette immense chance, je te la souhaite ardemment…
    Les propos du vieil ermite de la montagne de l’Emeishan avaient profondément marqué l’esprit de Tang. Au-delà de celle de l’extraordinaire phénomène de la « Grande Fusion », la révélation de l’existence d’une vérité cachée du monde à laquelle il n’avait pas eu accès remettait en cause toutes les certitudes qui lui avaient été inculquées jusque-là. Vide Essentiel lui avait ouvert les yeux. Plus encore, il l’avait fait passer de l’ombre à la lumière.
    Depuis son séjour mouvementé à l’Emeishan, Tang avait changé. Il avait pris du recul et, surtout, il voyait l’idéologie confucéenne d’un autre œil et s’était plongé dans la lecture du célèbre manuel d’alchimie Baopuzi AG pour y étudier les recettes de longévité à base de cinabre, de perle, d’agaric et d’or liquide. Mais pour réussir les neuf « transmutations   » du cinabre qui permettaient d’atteindre l’immortalité en trois jours, il fallait se retirer dans une montagne sacrée et y pratiquer le jeûne pendant au moins cent jours… une issue impossible car son père ne l’eût jamais laissé partir si longtemps.
    Cela n’avait pas empêché Tang, désormais bien décidé à ne plus s’en laisser conter par ses précepteurs confucéens, d’opter secrètement pour la Voie sans plus attendre. Il s’était converti au taoïsme. Chaque matin, il pratiquait les exercices respiratoires et de contrôle de soi. Lors des repas, il écartait la viande et s’empiffrait de céréales. Dès qu’il avait un moment, il allait s’asseoir devant une cascade pour y méditer sur le Yin et le Yang.
    Dès sa prise de bonnet viril, laquelle marquait pour les adolescents la fin de leur éducation scolastique, le jeune Han s’était mis en quête de l’âme double, multipliant les conquêtes féminines dans l’espoir de trouver la partenaire idéale. Après des premières armes effectuées auprès des courtisanes du bordel où son père l’avait amené, son physique avenant lui avait permis de goûter à tous les types possibles de femmes. À Nankin, les maisons de plaisir étaient légion, spécialisées selon les profils de leurs pensionnaires. Il y en avait pour tous les goûts, des plus simples aux plus