La naissance du roi Arthur
harnachement était de couleur jaune. Il tenait à la main
une lance de frêne ronde, teinte en azur, au fer fraîchement ensanglanté, fixé
par des goupilles d’argent. Il s’approcha d’Uther, tout irrité, et lui dit que
les corbeaux avaient massacré les gens de sa maison et les fils des nobles de
cette île. Il lui demanda de faire cesser ce massacre. Uther pria Uryen
d’arrêter ses corbeaux et pressa dans sa main les cavaliers d’or de l’échiquier
avec une telle force qu’il les réduisit presque en poudre. Alors, Uryen ordonna
au cavalier de faire abaisser la bannière. Dès que la bannière fut abaissée, le
tumulte cessa et les corbeaux se retirèrent.
« Je n’aime pas qu’on maltraite mes corbeaux, dit Uryen
à Uther, car ils sont parmi ce que je possède de plus cher et de plus
précieux. » Uther lui répondit : « Nous voici bien avancés
maintenant, et à cause de cela j’ai perdu des jeunes gens courageux auxquels je
tenais beaucoup. » – « J’en suis désolé, dit Uryen, mais tu ne m’as
pas laissé d’autre choix que de faire attaquer tes serviteurs par mes corbeaux.
Il te suffisait d’arrêter tes gens avant qu’il ne fût trop tard. » Uther
allait répliquer vertement quand il vit arriver Merlin. Celui-ci salua les deux
rois et leur dit : « Voilà où vous a conduits votre orgueil à tous
les deux. N’allez pas maintenant vous plaindre de ce qui est arrivé, car vous
avez mieux à faire que de vous disputer à propos de tout et de rien. »
Uryen demanda à Uther : « Qui est donc cet impudent personnage que je
ne connais pas ? » – « C’est l’homme le plus sage du monde,
répondit Uther, et il se nomme Merlin. » Pendant ce temps, on avait mis de
l’ordre dans le camp et toute trace de violence avait disparu. Merlin dit à
Uther : « Tu as perdu tes hommes par ta faute, roi Uther, et sache
bien que ce n’est pas grâce à ton orgueil que tu te feras un ami du roi
Uryen. » Puis Merlin se tourna vers Uryen : « Roi Uryen, tu te montres
trop fier de ta troupe de corbeaux, mais sache bien que ce n’est pas avec eux
que tu iras à la conquête du monde. Contente-toi de défendre cette île contre
tous les ennemis qui pourraient l’attaquer. Et pour cela, je ne vois pas
d’autre solution que de conclure cette alliance avec Uther : car l’un et
l’autre, vous êtes faibles et démunis lorsque vous vous retranchez derrière
votre soi-disant puissance. Cette puissance, vous ne la conserverez que si vous
êtes unis. Mais si ce que je dis vous agace, je peux toujours m’en
aller. »
Uryen dit à Merlin : « Tes paroles sont pleines de
sagesse, Merlin, et je regrette de m’être ainsi laissé emporter par ma colère
et mon orgueil. » Quant à Uther, il ne disait mot, mais son regard faisait
comprendre à Merlin qu’il était tout honteux de ce qu’il avait fait en
n’empêchant pas ses gens de maltraiter les corbeaux d’Uryen. Les deux rois se
donnèrent publiquement l’accolade, et depuis ce jour-là Uryen, roi de Reghed,
devint le fidèle vassal d’Uther Pendragon, roi suprême de Bretagne. Alors,
Merlin s’en alla trouver Taliesin et lui demanda de poursuivre sa mission
auprès d’Uryen. « Plus les hommes sont courageux, dit-il, plus ils ont de
faiblesses. Ne te laisse pas impressionner par ce qui s’est passé. Je t’avais
bien averti qu’il suffisait d’un geste pour tout remettre en cause. » Et,
après avoir pris congé de Taliesin, Merlin s’en retourna auprès d’Uther
Pendragon et l’accompagna pendant tout le chemin du retour [81] .
CHAPITRE X
Les Enchantements de Tintagel
Quand Uther Pendragon fut de retour dans la forteresse où il
résidait le plus souvent, Merlin le prit à part et lui dit : « Roi
Uther, j’ai beaucoup de choses à te dire, car les temps sont venus de les
dévoiler. » Uther fit asseoir Merlin en face de lui et dit :
« Parle, Merlin, je t’écouterai attentivement. » Alors Merlin lui
rappela comment, le soir du jeudi saint, Notre Seigneur avait partagé le pain
et le vin autour de la table de la maison de Simon le Lépreux, avec tous ses
disciples, y compris Judas le traître. Il lui raconta ensuite ce qui était
arrivé à Joseph d’Arimathie lorsqu’il avait recueilli le sang du Sauveur dans
une coupe d’émeraude qu’on appelait le Graal. Il lui décrivit le périple de
Joseph, de son fils Joséphé et de tous leurs compagnons à travers l’océan puis
dans l’île de
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