La nef des damnes
l’atmosphère humide, le silence n’était troublé que par les gémissements des malades et le murmure réconfortant des voix du moine et d’Eleonor qui s’activaient à leur chevet. Hugues lui fit signe de poursuivre.
— Knut a trouvé de quoi réparer les bordées de l’esnèque et consolider le mât du knörr. Il travaille avec deux de ses gars et pense avoir fini à la nuit tombée. Harald a proposé qu’on se réunisse ce soir sous la tente de Magnus.
— Bien.
— Notre ami Pique la Lune est parti pêcher, il a ramené de drôles d’animaux qu’il voulait vous montrer et il a trouvé une source sous un rocher au ras de la mer, nous pourrons donc faire aiguade ici.
— Bien, fit Hugues en se penchant sur le marin à la mâchoire fracassée qu’il examina avant de lui donner une cuillère d’opium.
Eleonor, qui le regardait faire, s’écarta pour le laisser passer.
— Surveillez bien celui-là, lui demanda Hugues avant d’aller s’occuper du jars.
Quelques instants plus tard, les deux hommes étaient de retour à l’entrée de la caverne. Hugues aperçut Harald qui leur faisait de grands signes. Les équipages se rassemblaient. Le cuisinier du knörr sortait la viande des broches et coupait les chèvres en quartiers. Corato avait mis des tonneaux de bière en perce.
— Je vois que notre ami a décidé de sacrifier quelques-unes de ses marchandises pour réconforter les équipages. Allons-y, fit Hugues. Manger nous fera du bien.
— Je vais chercher Eleonor et frère Dreu.
Alors qu’ils se dirigeaient vers le campement, Pique la Lune vint vers eux avec sa prise de la matinée.
— Messire, j’ai besoin de votre aide, s’exclama le Breton. Ça ressemble à un homard sans pinces et il y en a plein là-dessous, est-ce que ça se mange ?
— Oui, et c’est même excellent. Cela s’appelle une langouste.
— Une langouste ! Alors je vais essayer d’en pêcher d’autres, fît Pique la Lune en contemplant sa proie d’un œil intéressé.
La nuit tombait presque quand ils se retrouvèrent tous sous la vaste tente de toile de Magnus le Noir. La lueur des braseros éclairait des visages tendus, des traits tirés. La fatigue du combat de la veille était encore présente et chacun, pendant cette journée, avait travaillé dur. Hakon, le second du jars, avait pris le commandement des guerriers fauves. C’est lui qui les reçut, les faisant asseoir sur les tapis et les nattes de joncs disposés à même le sol, avant de s’accroupir devant le fauteuil de son chef.
Il y avait là Eleonor, Harald et Knut, Bjorn de Karetot, Pique la Lune, Jacques le pilote, le capitaine Corato, frère Dreu et le géographe Afflavius. Les armes luisaient, suspendues à leur trépied de fer, les coffres ouvragés étaient rangés près du lit de camp, et Tancrède songea que rien n’avait changé depuis la dernière fois où ils s’étaient réunis pour juger un homme qui n’avait d’homme que le nom.
— À quoi pensez-vous ? lui murmura Hugues qui s’était assis à ses côtés. Vous semblez bien songeur.
— Au jugement de la bête de Barfleur.
Hakon fit circuler de la bière puis se leva pour prendre la parole. C’était un homme rude, peu habitué aux discours :
— Nos morts serrés dans leurs linceuls descendent vers le fond des mers. Paix sur eux. Nous écrirons leur glorieuse histoire.
Puis il se tourna vers Hugues :
— Je pense, messire, que mon jars aurait aimé que vous preniez la parole sous sa tente. Si personne n’y voit d’inconvénient, vous serez plus à même que moi de dire ce qui doit l’être.
Un murmure d’assentiment parcourut l’assemblée. Hugues se leva. Tancrède le sentait plein d’une énergie nerveuse, d’une volonté qui le portait au-delà de ses forces.
— Merci à tous, fit-il en s’inclinant une main sur le buste. Je vous donnerai d’abord des nouvelles de nos blessés. Je ne parle pas de tous ceux, marins et mousses, dont les plaies étaient légères et qui peuvent à nouveau faire leur ouvrage. Je parle des autres. Deux d’entre eux, blessés au torse et aux jambes par des flèches, pourront reprendre sous peu une place dans l’équipage de l’esnèque, à condition de leur trouver des tâches plus légères que celles qu’ils effectuaient.
Harald hocha la tête en signe d’accord.
— Deux rameurs du knörr sont par contre plus sérieusement blessés, un éclat de pierre est entré dans le crâne de l’un d’eux
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