La Révolution et la Guerre d’Espagne
n’est pas
non plus toujours de première qualité : le président Aguirre parlera de
fusils « datant de la guerre de Crimée » et Krivitsky, à propos d’achats
faits en Pologne, en Tchécoslovaquie et même en Allemagne, de « matériel
vieilli, mais utile ». Il n’y a là rien d’extraordinaire : le
matériel français qui passe la frontière durant les premières semaines est
aussi ancien et parfois en mauvais état. L’Espagne n’est pas seulement le
terrain d’expérimentation des armes neuves, elle fournit aussi le moyen de
liquider à bon prix le vieux matériel qui encombre les parcs militaires. Il ne
faut pas oublier que ce trafic a un aspect commercial. Pas plus que l’Allemagne
à Franco, l’U. R. S. S. ne donne ses armes à la République : dès les
premières négociations, il a été prévu que l’or de la Banque d’Espagne
financerait les fournitures.
L’envoi en Russie de la plus grande partie de l’or espagnol
a soulevé plus tard de violentes controverses entre les dirigeants
républicains. Elles peuvent aujourd’hui se ramener à une question unique :
la responsabilité de l’opération repose-t-elle sur le seul Negrin, ministre des
Finances à l’époque, ou l’a-t-il partagée avec d’autres, Largo Caballero,
président du Conseil, Prieto, ministre de la Défense nationale ? Au moment
de l’avance franquiste sur Madrid, un Conseil des ministres décide de mettre en
lieu sûr l’or de la Banque d’Espagne. Un premier transfert a lieu, de Madrid à
Carthagène. Le 25 octobre 1936, l’or – une quantité estimée à 510 079 529 grammes est expédié pour Odessa sous la surveillance de quatre fonctionnaires
espagnols. Prieto a rejeté sur Negrin la responsabilité de cette expédition.
Alvarez del Vayo réplique que la décision a été prise par Largo Caballero et
Negrin et que Prieto a été tenu au courant. Il est certain, en tout cas, que le
premier transfert sur Carthagène s’est fait avec l’approbation des ministres,
et il est peu vraisemblable qu’une décision aussi importante que la sortie d’Espagne
de son or ait pu être prise sans l’accord du président du Conseil [355] .
L’envoi de l’or en Russie se place au moment où l’aide russe
est la plus importante. Il est très possible qu’une bonne partie ait
effectivement servi à payer les achats d’armes à l’étranger. D’ailleurs, le
trafic provoqué par la guerre d’Espagne n’est pas négligeable pour un commerce
extérieur médiocre comme celui de la Russie soviétique : l’Espagne devient
son deuxième client, et le chiffre d’affaire de ce commerce est multiplié par
vingt par rapport à l’avant-guerre.
Evidemment, ce trafic est bien difficile à dissimuler :
la longueur de la traversée, qui parcourt toute la Méditerranée, permet de
repérer facilement les convois, et les sous-maîtres italiens contrôlent
aisément leur passage en Méditerranée centrale. L’aide de la Russie sert de
prétexte à l’Allemagne et à l’Italie pour contre-attaquer au Comité de
non-intervention, et pour tenter d’opposer l’U. R. S. S. aux pays occidentaux.
Elle permet aussi à l’Angleterre de maintenir une fiction de neutralité, en
affirmant qu’elle tient ainsi une balance égale entre les deux belligérants.
Staline craint de se retrouver seul dans les conversations diplomatiques, comme
cela arrive trop souvent à ses représentants au Comité. D’autre part, après l’échec
de Franco devant Madrid, l’espoir d’une rapide victoire des nationalistes a
disparu. La prolongation de la guerre est peut-être favorable à la politique
russe : elle voit dans le conflit espagnol un abcès de fixation qui
détourne une partie des forces allemandes et italiennes.
Ceci explique à la fois la poursuite et la réduction de l’aide
russe. D’ailleurs, la mise en vigueur des mesures de contrôle maritime par les
puissances du Comité de Londres va gêner l’arrivée du matériel et entraîner une
diminution sensible des expéditions, dès le printemps 1937. L’U. R. S. S., qui
ne dispose pas sur mer de moyens importants et ne se soucie pas de les engager
imprudemment, refuse de participer au contrôle, mais voit en revanche les côtes
méditerranéennes de l’Espagne républicaine gardées par les navires de guerre
allemands et italiens. Enfin, depuis décembre 1936, l’Italie a recours, pour
transformer en véritable blocus les mesures de limitation du commerce des
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