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La Révolution et la Guerre d’Espagne

La Révolution et la Guerre d’Espagne

Titel: La Révolution et la Guerre d’Espagne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Broué , Emile Témime
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difficile d’estimer ses richesses avec exactitude. Sans doute n’est-elle
pas, comme on l’a souvent affirmé, le plus gros propriétaire foncier du
pays ; mais elle n’est pas loin de l’être. L’enquête du ministère de la
Justice effectuée au lendemain de la proclamation de la République lui attribue
11 000 domaines, évalués à quelque 130 millions de pesetas. Ses propriétés
urbaines ne sont pas moins considérables, et elle est une puissance du monde
des affaires, de la banque comme de l’industrie, contrôlant directement ou par
l’intermédiaire d’hommes de paille des entreprises aussi importantes que la
Banque Urquijo, les mines de cuivre du Rif, les chemins de fer du Nord, les
tramways de Madrid ou la Compagnie Transméditerranéenne.
    Elle était sous la monarchie, et elle est restée dans une
large mesure sous la République, maîtresse de l’enseignement [13] : dans ce pays
qui compte, il est vrai, douze millions d’illettrés – la moitié de la
population –, ce sont ses écoles qui ont instruit et éduqué plus de cinq
millions d’adultes. Mais cette emprise sur l’éducation est loin de se traduire
par une influence équivalente. Les troubles anticatholiques, les incendies de
couvents et d’églises qui ont marqué le mois de mai 1931 révèlent un phénomène
profond : les masses populaires se sont dégagées de l’emprise de l’Église
et se tournent contre elle [14] .
Il est d’ailleurs intéressant de noter ici que c’est seulement dans les régions
où l’inégalité sociale est moins frappante, soit que tout le monde y soit
pauvre, comme en Galice, soit que le niveau général de vie soit acceptable
comme en Pays basque, en Navarre, au Levante ou en Catalogne et, dans une
certaine mesure, en Vieille Castille, que l’Église conserve une audience dans
les masses rurales. Ailleurs, dans l’Espagne des latifundia, l’Église est
considérée comme l’instrument de propagande et d’encadrement des riches, comme
le défenseur d’un ordre social et d’une propriété iniques, comme l’adversaire
résolu de toute amélioration sociale, l’ennemi des travailleurs. Mgr Segura, l’archevêque
de Tolède, dont les revenus annuels sont de 600 000 pesetas, incarne
parfaitement l’aspect intégriste et réactionnaire de l’Église espagnole. Ce
prélat, « homme d’église du XIII e siècle », qui « pensait
qu’un bain était une invention des païens sinon du diable lui-même et qui
portait un cilice comme un moine d’autrefois » [15] ,
primat d’Espagne, sera le champion de l’opposition inconditionnelle à la
République, l’adversaire résolu, non seulement de toute « subversion », mais de
tout libéralisme.
L’armée espagnole
    Originale par ses structures comme par sa place dans la
société, l’armée espagnole n’a pas d’équivalent en Europe. Régulièrement battue
depuis un siècle dans la défense des dernières possessions coloniales, elle s’affirme
en même temps comme un corps politique autonome. En bref, c’est une armée de
pronunciamiento – le mot est espagnol, ce n’est pas un hasard. Vaincus,
humiliés par leurs défaites répétées, les officiers en imputent la
responsabilité aux gouvernements successifs. La guerre du Rif, contre le chef
marocain Abd-el-Krim, s’est prolongée de 1921 à 1926 : elle a coûté à l’Espagne
la vie de 15 000 de ses soldats pour la seule année 1924 et n’a pu se conclure
victorieusement qu’avec l’intervention des troupes françaises de Lyautey. Les
chefs militaires, malgré les désastres, ont pu se faire les champions de la
reconquête coloniale contre les gouvernements d’abandon, et c’est dans ce rôle
qu’est apparu pour la première fois sur le terrain politique le
lieutenant-colonel Francisco Franco, un des chefs de la légion étrangère. Après
la victoire, le Maroc reste le fief de l’Armée : les généraux y sont de
véritables proconsuls.
    Débouché honorable pour les fils de famille, – les señoritos – la caste des officiers, jalouse de ses privilèges, dont le principal
reste de se « prononcer », incarne aux yeux des traditionalistes toutes les
vertus espagnoles. Elle est, dans le marasme général, la seule arme réelle des
classes dirigeantes leur ultime recours et leur suprême espoir. C’est avec le
consentement des chefs de l’Armée que la République a été proclamée. Mais le
pronunciamiento manqué d’un de ses chefs les plus écoutés, le

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