La Révolution et la Guerre d’Espagne
manifesté leur hostilité à toute forme de mouvement de masse,
spontané, incontrôlable. Ils agissaient, en un mot, non avec l’objectif de
transformer l’enthousiasme chaotique en enthousiasme discipliné mais avec comme
but de substituer une action militaire et administrative disciplinée à l’action
des masses et de s’en débarrasser complètement » [204] .
Cette politique conservatrice assure le développement du
P.C. et du P.S.U.C. et élargit leur audience. En Catalogne, le décret sur la
syndicalisation obligatoire a regonflé les effectifs de la faible U.G.T.
contrôlée par le P.S.U.C. C’est sous son égide que se constituera en syndicat
le G.E.P.C.I. ( Fédération des Gremios y Entidades de Pequeños Comerciantes y
Industriales )qui, sous couleur de défense professionnelle des
commerçants, artisans et petits industriels, sera l’instrument de lutte de la
moyenne et petite bourgeoisie contre les conquêtes révolutionnaires. Dans le
Levante, où l’U.G.T. a au contraire, une base de masse chez les petits paysans,
le P.C., avec Mateu, organisera une Fédération paysanne indépendante que
soutiendront tous les adversaires de la collectivisation, caciques compris.
De façon plus générale, c’est vers le P.C. et le P.S.U.C.,
défenseurs de l’ « ordre et de la propriété » que se tournent
les partisans de l’ordre et de la propriété en Espagne républicaine.
Magistrats, hauts fonctionnaires, officiers, policiers, trouvent en lui l’instrument
de la politique qu’ils souhaitent, en même temps qu’un moyen de s’assurer, le
cas échéant, protection et sécurité [205] .
Du même coup, le P.C. cesse d’être un parti à composition prolétarienne :
à Madrid, en 1938, selon ses propres chiffres, il ne compte que 10 160
syndiqués sur 63 426 militants, ce qui indique un faible pourcentage d’ouvriers [206] . La propagande
du P.C. met d’ailleurs l’accent sur les « personnalités » recrutées,
dont certaines sont, pourtant, loin de présenter toutes les garanties en ce qui
concerne la sincérité de leur dévouement à une cause « ouvrière » [207] .
Il serait cependant erroné de n’expliquer la croissance du
P.C. que par sa politique modérée et son loyalisme républicain. Dans le chaos
des premiers mois, en effet, le parti communiste s’avère une remarquable force
d’organisation, un instrument terriblement efficace. Avec certaines de ses
réalisations, ses appels à l’unité antifasciste rencontrent un immense écho
chez tous ceux, républicains, socialistes, syndicalistes, inorganisés, qui
veulent avant tout se battre contre Franco. Les Hernandez, Pasionaria, Comorera
même, ne sont pris au sérieux dans leurs diatribes contre les Comités et les
« incontrôlables», dans leurs appels à la discipline et au respect de la
légalité, que parce que leur parti s’est révélé capable de bien se battre,
parce qu’il sait construire et donner l’exemple.
L’histoire de la défense de Madrid montre aussi, que, dans
certaines circonstances, le parti communiste est capable, non seulement de
faire appel à des traditions révolutionnaires comme celles de l’octobre russe
ou de l’armée rouge, mais encore d’utiliser des méthodes proprement
révolutionnaires, en un mot d’apparaître, aux yeux de larges masses, comme un
parti authentiquement révolutionnaire. Bien des militants espagnols ou
« internationaux » ont vécu dans la défense de la capitale une épopée
révolutionnaire dont l’emblème purement antifasciste n’était à leurs yeux que
provisoire. Contre les mercenaires allemands ou italiens, ils se voulaient
combattants de la Révolution prolétarienne internationale. Nombre d’entre eux
ont combattu la révolution dans l’immédiat, avec la conviction qu’il ne s’agissait
que d’un repli tactique provisoire, et qu’au bout de la lutte antifasciste se
trouvait la Révolution communiste mondiale.
L’un des instruments les plus efficaces du développement de
l’influence du P.C. a été, sous cet angle, le 5 ème régiment. Dès le
19 juillet, les militants communistes de Madrid occupent un couvent salésien à
Cuatro Caminos et organisent une unité qui comptera 8 000 hommes à la fin du
mois. Le choix même du vocable « régiment » et de son numéro, 5 ème ,
est significatif : la direction du P.C. fait de cette unité le 5 ème régiment parce qu’il existait, à Madrid, quatre régiments avant
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