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L'affaire Toulaév

Titel: L'affaire Toulaév Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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travailleurs… », Makéev rectifia fièrement : « Fils de paysan sans terre ! » Plusieurs voix approuvèrent hautement son affiliation. « Adopté », dit le commissaire.
    À Pérékop, quand il fallut, pour gagner la dernière bataille de cette guerre maudite, entrer dans la mer perfide de Sivach, y marcher, de l'eau jusqu'au ventre, de l'eau jusqu'aux épaules, dans les mauvais endroits – et que serait-ce dix pas plus loin, si ce n'était pas tout à coup le bouillon final ? –, Makéev, sous-commissaire du 4e bataillon, donna plusieurs fois sa vie en la disputant âprement à la peur et à la fureur. Quels trous mortels recelait cette eau blafarde sous le ciel blanc de l'aube ? Est-ce que l'on n'était pas trahi par quelque technicien du commandement ? Les mâchoires soudées, frissonnant tout entier, mais fou de résolution, fou de sang-froid, il portait son fusil à deux mains, élevé au-dessus de sa tête, donnant l'exemple. Le premier, il sortit de la mer, gravit une dune de sable, s'y coucha, le ventre doucement réchauffé, épaula, se mit à tirer, invisible, sur des hommes pris à revers qu'il voyait distinctement s'agiter autour d'un petit canon… Le soir de l'exténuante victoire, un chef, habillé de kaki neuf, se hissa sur l'avant du canon pour lire à la troupe un message du komandarm-commandant de l'armée – que Makéev n'écouta pas, ayant les reins cassés de courbatures et les paupières engluées de sommeil. À la fin, des paroles sévèrement scandées, parvinrent pourtant à son entendement :
    – Quel est le valeureux combattant de la glorieuse division des steppes, qui…
    Makéev se demanda, lui aussi, mécaniquement, quel pouvait être le valeureux combattant et ce qu'il pouvait bien avoir fait, mais que le diable l'emporte et toutes ces cérémonies avec ou je vais tomber de sommeil, j'en peux plus. Le commissaire Kasparov, à ce moment, arrêta sur Makéev un si drôle de regard vrillé que Makéev se crut en défaut. « Faut croire que j'ai l'air d'un ivrogne », se dit-il en faisant un gros effort pour ne pas laisser ses yeux se fermer. Kasparov cria :
    – Makéev !
    Et Makéev, titubant, sortit du rang, désigné par un murmure. Lui, lui, lui, Artémitch ! L'Artiomka autrefois méprisé des filles entrait dans la gloire, couvert de boue sèche jusqu'aux épaules, ivre de fatigue, ne désirant plus au monde qu'un peu d'herbe ou de paille pour s'y étendre. Le chef l'embrassa, bouche à bouche. Le chef était mal rasé, il sentait l'oignon cru, la sueur refroidie, le cheval. Puis, ils se regardèrent un court moment, à travers une brume, ainsi que s'abordent des chevaux fourbus, les yeux mouillés. Et Makéev se réveilla en reconnaissant le partisan de l'Oural, le vainqueur de Krassny-Yar, le vainqueur de l'Oufa, le vainqueur de la retraite la plus désespérée, Blücher.
    – Camarade Blücher, dit-il pâteusement, je suis… je suis content de te voir… Tu es… Tu es un homme, toi…
    Il lui sembla que le chef titubait comme lui, de sommeil.
    – Toi aussi, répondit Blücher en souriant, tu es un homme, un vrai… Viens boire le thé, demain matin, à l'état-major de la division.
    Blücher avait un visage tanné, tiré en lignes perpendiculaires, et de lourdes poches sous les yeux. De ce jour data entre eux une amitié d'hommes de la même trempe qui se voyaient une petite heure deux fois l'an, dans les camps, les solennités, les grandes conférences du parti.
    En 1922, Makéev revint à Akimovka dans une Ford cahotante portant les initiales du C.C. du PC (b) de la RSFSR. Les gosses du village entourèrent la voiture. Makéev les considéra pendant quelques secondes avec une terrible intensité d'émotion : en réalité, il se cherchait parmi eux, mais trop maladroitement pour voir combien plusieurs lui ressemblaient. Il leur jeta toute sa provision de sucre et de monnaie, tapota les joues aux fillettes, plus timides, plaisanta les femmes, coucha avec la plus rieuse de celles qui avaient les seins mûrs, les dents larges, les yeux larges – et s'installa au district, dans la meilleure maison du bourg, en qualité de secrétaire de l'organisation du parti. « Quel pays arriéré !, disait-il. Tout à faire. Les ténèbres, quoi ! » Envoyé de là en Sibérie occidentale pour y présider un exécutif régional. Élu membre suppléant du C.C. dans l'année qui suivit la mort de Wladimir Illitch… Chaque année, des mentions nouvelles s'ajoutaient à la feuille de

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