L'archer du Roi
Les premiers archers anglais, qui
s’étaient arrêtés, armèrent leurs arcs et les traits montèrent droit vers le
ciel. L’un des archers, en gilet de cuir capitonné, tomba à la renverse, un
carreau d’arbalète fiché dans le front. Du sang gicla en l’air, comme pour
accompagner sa dernière flèche qui, lancée à la verticale, monta en vain à
l’assaut du ciel.
— Visez les archers ! aboya un homme en armure
rouillée. Tuez leurs archers d’abord !
Thomas s’arrêta et chercha des yeux l’étendard royal. Il se
trouvait très loin sur la droite. Mais le jeune archer avait déjà atteint des
cibles plus éloignées.
Il s’arc-bouta puis, au nom de Dieu et de saint Georges, il
posa la flèche qu’il avait choisie sur la corde et amena l’empenne blanche à la
hauteur de son oreille. Il observa le roi David II d’Écosse. Il vit le
soleil d’or se refléter sur le heaume royal et vit aussi que la visière était
ouverte. Il visa la poitrine, donna une poussée sur la droite pour compenser le
vent, et décocha. La flèche partit correctement, sans vibrer comme l’eût fait
une flèche de mauvaise qualité. Thomas suivit sa course des yeux pendant
qu’elle s’élevait, puis retombait, et il vit le roi sauter en arrière et les
courtisans se précipiter autour de lui. Il prit alors son deuxième trait et
chercha une autre cible. Il vit un archer écossais sortir des rangs en boitant,
une flèche plantée dans la jambe. Les hommes d’armes entourèrent le blessé en
fermant leur ligne avec leurs lourds boucliers. On entendait des chiens de
chasse japper au plus profond de la formation ennemie, à moins que ce ne
fussent les cris de guerre des hommes des tribus. Le roi avait le dos tourné et
des hommes se penchaient sur lui. L’air vibrait sous le sifflement des flèches
et les arcs émettaient leur musique, régulière et basse. Les Français
l’appelaient la musique de la harpe du diable. Plus aucun archer écossais
n’était en vue. Tous avaient été pris pour cible par les archers anglais et
réduits à l’état de corps ensanglantés.
Les Anglais dirigèrent alors leurs projectiles sur les
hommes armés de piques, d’épées, de haches et de lances. Les hommes des tribus,
tout en cheveux et en barbe et en fureur, étaient placés derrière les hommes
d’armes disposés en rangs de six ou huit, de telle sorte que les flèches
vinrent s’abattre à grand bruit sur les cuirasses et les boucliers. Les chevaliers
et hommes d’armes écossais, ainsi que les piquiers, se protégeaient tant bien
que mal en s’accroupissant pour échapper à l’impitoyable pluie de flèches, mais
il se trouvait toujours quelques traits pour s’infiltrer dans un espace entre
les boucliers, tandis que d’autres transperçaient purement et simplement le
bois de saule recouvert de cuir. Le bruit sourd des flèches frappant les
boucliers rivalisait avec le son, plus aigu, des tambours.
— En avant, les gars, en avant !
Un capitaine encourageait ses archers à se rapprocher encore
de l’ennemi, afin que leurs flèches s’enfoncent encore davantage dans ses
rangs.
— Tuez-les, les gars !
Deux de ses hommes étaient couchés dans l’herbe, preuve que
les archers écossais avaient causé quelques dommages avant d’avoir été
submergés par les flèches anglaises. Un autre Anglais se déplaçait en titubant
comme s’il était ivre en serrant son ventre, d’où s’écoulait le sang en formant
des rigoles sur ses chausses. Une corde d’arc se rompit, projetant la flèche de
côté. En jurant, l’archer plongea la main sous sa tunique pour en trouver une
de rechange.
N’ayant plus d’archers, les Écossais étaient réduits
momentanément à l’impuissance. Les Anglais s’enfoncèrent de plus en plus dans
leur ligne. Bientôt, ils purent tirer tout droit et projeter les têtes de métal
à travers les boucliers, les cottes de mailles et même les rares armures
complètes. Thomas se trouvait à environ quarante-cinq pas des lignes ennemies
et choisissait ses cibles avec une froide détermination. Voyant la jambe d’un
guerrier dépasser d’un bouclier, il planta une flèche dans sa cuisse.
Les joueurs de tambour s’étaient enfuis et deux instruments
à la peau éclatée comme celle d’un fruit trop mûr gisaient, abandonnés, sur le
sol. Le cheval d’un noble se trouvait juste derrière les rangs. Thomas lui
envoya un projectile qui s’enfonça profondément dans son poitrail.
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