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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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tremblent, ainsi que ses bras, que son corps entier, et le tremblement gagne Commynes qui cesse de respirer.
    L’homme allongé sur la paillasse et qui paraît mort, c’est le roi de France.
    À partir de là, tout se précipite : les mouvements, les gestes insensés, les émotions qui étranglent la voix et la libèrent soudain avec fureur. « À l’aide ! » hurlent Ymbert et Philippe. Des gardes font irruption, affolés, menaçants. Réveillés en sursaut, certains ont oublié leurs armes et brandissent n’importe quoi, des outils, des pieux, des tisonniers. Quatre d’entre eux, harcelés comme des mules par Commynes et Batarnay, s’emparent du roi, le portent jusqu’à sa chambre. Et là, comme par miracle, en moins d’une minute, tout le monde afflue, se presse, s’écrase autour du lit : Jacques Coitier, Adam Fumée, Anne et Pierre de Beaujeu, le maréchal de Gié, Jean de Daillon, seigneur du Lude, que l’on croyait malade et près de mourir, Guillaume, le capitaine de la garde écossaise, Pierre Parent, dernier secrétaire en grâce auprès de Sa Majesté, et bien d’autres encore, valets et domestiques, tous muets, l’œil avide et la gorge serrée. Il ne manque que Sauveterre et la petite Angèle.
    On n’a pas encore déchaussé ni déshabillé le roi. En dégrafant sa chemise, un maladroit en a fait sauter les boutons, libérant sur la poitrine une touffe de poils gris que chacun constate avec malaise car elle ne masque ni les côtes saillantes ni la peau luisante de fièvre. Louis XI a perdu connaissance, mais son état paraît plus alarmant, plus désespéré qu’il y a six mois. C’est du moins l’avis de ceux qui se trouvaient aux Forges, à cette époque. Ils jugent, à présent, son souffle rauque, irrégulier, ses yeux sans regard, sans âme. À voix basse, les médecins Adam Fumée et Jacques Coitier se consultent avant de prodiguer les premiers soins. Ils réprouvent les méthodes archaïques d’Angelo Cato, notamment le choix du clystère émollient qui a réussi naguère, mais il s’agissait, selon eux, d’une coïncidence fortuite et d’une illusion. Ils tombent d’accord pour une saignée à la cheville et pour une tisane de thériaque administrée à la cuillère. Ymbert de Batarnay interrompt d’une voix vibrante leurs murmures thérapeutiques :
    — Nous, seigneurs d’Argenton et du Bouchage, vouons, en ce jour, notre roi à Monseigneur Saint-Claude.
    Il joint les mains et tombe à genoux, ainsi que Commynes. Alors, autour d’eux, tout le monde s’agenouille et prie :
    — Que Monseigneur Saint-Claude prenne notre roi sous sa garde !
     
    Cette nouvelle léthargie, apparemment plus grave que la précédente et dont on appréhendait, non sans raison, l’issue fatale, n’a duré que deux heures. Un tel laps de temps, qui aurait dû paraître interminable, a d’abord surpris et troublé l’assemblée par sa brièveté, avant de la réjouir, comme de juste. Lorsque le roi a repris connaissance, personne n’a voulu le croire. Quand il a toussé et réclamé à boire d’une voix faible mais distincte, chacun s’est cru victime d’une erreur des sens. On n’a reconnu le fait qu’au moment où, après avoir fermé les yeux, il les a rouverts pour vider d’un trait le verre d’eau de mélisse tendu par Adam Fumée. Ensuite, il a redressé la tête, puis le buste, a repoussé les draps, dégagé une jambe et grogné quand les deux médecins, perdant quelque peu leur sang-froid, ont tenté de le raisonner, lui ont recommandé le repos. Il les a écartés d’une main, a réussi à mettre un pied sur le parquet, a appelé du regard Anne et Pierre qui l’ont aidé à se lever. Soutenu d’un côté par sa fille, de l’autre par son gendre, il a chancelé jusqu’à la fenêtre, a donné l’ordre de l’ouvrir, s’est penché pour respirer l’air de la campagne, l’a jugé étouffant, a regagné son lit, toujours en chancelant, a refusé le bras et l’épaule de Pierre pour se hisser sur le drap, sans parvenir toutefois à retenir une grimace, et, une fois allongé, a demandé où était Sauveterre.
    — À Amboise où vous l’avez envoyé, a répondu Anne.
    — Qu’est-ce qu’il fait, là-bas ?
    — Vous devez le savoir, mon père.
    — En effet, je le sais.
    Cette réplique narquoise, particulière à la nature de

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