Le dernier vol du faucon
de redoubler la cadence des salves, causant des ravages dans les rangs des assaillants. Ce n'était pourtant plus qu'une question de temps avant qu'ils ne soient submergés. Les Siamois étaient maintenant si nombreux que la jonque, oscillant dangereusement, menaçait de sombrer tandis que des grappes d'hommes tombaient à l'eau.
Comme la vague humaine se précipitait vers l'arrière du bateau, l'officier jeta une mèche enflammée dans le tonneau de poudre. Dans un grondement terrifiant, la jonque vola en éclats, entraînant dans la mort des centaines de Siamois avec les dix-huit Français.
Un frisson d'horreur secoua Ivatt et ses hommes mais ce n'était pas le moment de s'attarder. Il se tourna vers le Siamois qui commandait le voilier et jugea utile de lui expliquer que les farangs qui venaient de périr venaient d'un autre pays et qu'il ignorait ce qui se passait. Le capitaine le regarda d'un air soupçonneux, mais la promesse d'une prime supplémentaire emporta sa décision. Quelques instants plus tard, ils reprenaient leur route, profitant de ce que les Siamois étaient trop occupés par le carnage environnant pour leur prêter attention.
Quand Thomas Ivatt accosta à Bangkok, il se rendit compte aussitôt que des événements nouveaux s'étaient produits. Une activité fébrile régnait dans le fort, on édifiait des retranchements, des hommes transportaient munitions et provisions dans toutes les directions, d'autres graissaient les canons et vérifiaient leur emplacement.
Quelques instants plus tard il se trouva devant le major Verdcsal qui transpirait abondamment. C'était lui qui assurait le commandement du fort en l'absence de Desfarges.
«Le général n'est pas encore revenu de Louvo, expliqua-t-il. Ses fils y sont retenus en otage. Nous avons reçu un message codé nous enjoignant de nous préparer pour un siège, bien qu'à ma connaissance la guerre ne soit pas déclarée. J'ai envoyé le lieutenant Saint-Cricq dans le golfe chercher des renforts. Nous avons là-bas deux bateaux à l'ancre avec quelques troupes supplémentaires à bord, et nous aurons besoin de toute l'aide que nous pourrons trouver. »
Ivatt sentit que sa gorge se serrait.
«Je crains d'avoir de mauvaises nouvelles pour vous, Major...»
Il relata à un Verdesal désespéré la scène à laquelle il venait d'assister.
« Bon Dieu ! s'exclama l'officier, soudain très pâle. C'est donc la guerre ! »
Ivatt le laissa méditer quelques instants avant de lui poser la question qui comptait le plus pour lui. « Avez-vous des nouvelles du Seigneur Phaulkon, Major?»
Verdesal sortit de ses sombres réflexions. « Il a été arrêté et emprisonné par Petraja, mais on raconte qu'il se serait échappé. Son fils est arrivé ici il y a quelques jours et nous a tout raconté.
- Mais pourquoi les Français n'ont-ils pas arrêté Petraja?» demanda Ivatt, stupéfait.
Une expression de mépris traversa le visage de Verdesal.
« C'est Petraja qui commande le Palais à Louvo et il s'est adjugé le titre de régent. Il semble très puissant et son arrestation exigerait des forces importantes. Le général a jugé bon de ne pas risquer les siennes. »
Le ton de sa voix donna à entendre à Ivatt qu'il n'approuvait en rien la décision de son commandant.
«Où pourrai-je trouver Mark Tucker? demanda-t-il d'un ton pressant.
- Près de sa mère, sans aucun doute. Quelqu'un va vous y conduire. »
Ivatt, Nellie et Mark s'entretinrent avec animation dans la petite antichambre. Par la fenêtre ouverte on voyait les branches d'un palmier s'agiter doucement
sous la brise. Des verres de citron presse étaient disposés devant eux sur une petite table.
«Vous êtes certainement plus en sécurité ici au fort, affirma Ivatt après avoir écouté Nellie.
- En sécurité? s'exclama Nellie. Il me semble pourtant que les Français se préparent à la guerre.
- Mais à Louvo, vous seriez à la merci des Siamois, rétorqua l'Anglais.
- A Louvo, nous pourrions venir en aide à mon père, intervint Mark, le visage grave. Petraja pense qu'il est peut-être ici au fort. Les quelques mercenaires encore en vie aux ordres de mon père m'ont transporté jusqu'aux quais de Louvo sur la civière dont ils s'étaient servis pour sa fuite. De nombreux témoins ont pu me voir. Ils avaient maquillé mon visage pour que j'aie l'air plus vieux.
- Seigneur Ivatt, dit Nellie plaidant sa cause, Mark et moi avons retourné la situation dans tous les sens.
Weitere Kostenlose Bücher