Le Druidisme
catégorie, enfin, comprend le cycle de Leinster :
il s’agit d’une société de chasseurs de cervidés. Et c’est celle-ci qui a les
chances d’être la plus ancienne. Le cycle de Leinster peut ainsi remonter, dans
son schéma de base, à l’époque préhistorique des chasseurs de rennes. Ce n’est
qu’une hypothèse, mais elle est plausible et logique.
Cela permettrait de mieux situer Cernunnos. Représentant
l’abondance, entouré d’animaux divers, portant des cornes de cerf, il pourrait
être une ancienne divinité préhistorique récupérée par le druidisme. Il a
d’ailleurs été largement utilisé par la suite. L’hagiographie bretonne est
riche en anecdotes sur « saint » Édern (fils de Nudd, c’est-à-dire de
Nuada) et le cerf [175] . Le
cerf, dont le caractère ambigu a été renforcé (il est bon ou mauvais selon les
cas), a été exploité dans les romans arthuriens [176] .
Enfin, sous différentes métamorphoses, il est devenu le dieu des sorcières , autrement dit le Diable
médiéval, cornu, sulfureux, et présidant le fameux Sabbat [177] .
Comme quoi l’image d’une divinité peut franchir les siècles, même si l’on n’en
connaît plus la signification exacte.
Au demeurant, on a retrouvé la statuette d’une déesse portant
des bois de cerf à Broyes-les-Pesmes (Haute-Saône), actuellement au British
Museum. Elle tient une corne d’abondance et une patère. Est-ce une version
féminisée de Cernunnos ? A-t-elle quelque chose à voir avec la
femme-biche, épouse de Finn et mère d’Oisin ? Il y a d’autres
représentations de déesses accompagnant des animaux. La plus remarquable est la
déesse Artio, du musée de Berne : c’est un groupe comprenant une femme
assise, un énorme ours et un arbre. Artio provient
de l’un des noms de l’ours en celtique, arto ,
l’autre nom étant matu . S’agit-il d’une déesse à l’ours , ou d’une déesse-ourse ?
L’ours est l’emblème de la royauté, de la souveraineté. Le roi Arthur a un nom
qui provient du même terme arto , et le roi
Math de la quatrième branche du Mabinogi a le
sien qui provient de matu . Mais le roi
celtique n’est rien sans la « Souveraineté », souvent représentée
dans les légendes par une femme qu’on épouse, ou avec laquelle on a des
relations sexuelles, Guenièvre, en particulier, pour le roi Arthur. La déesse à
l’ours de Berne n’est-elle pas la figuration symbolique du roi-ours, à l’abri
de l’arbre druidique, devant la Souveraineté divine ? Le roi Math, d’après
le Mabinogi , ne peut vivre, en tant de paix,
que les pieds dans le giron d’une jeune fille vierge [178] .
La reine Medbh de Connaught, dont le nom signifie « ivresse », et qui
représente assez bien la Souveraineté telle qu’elle a été pensée symboliquement
par les Celtes, prodigue, comme disent les textes, « l’amitié de ses
cuisses », non seulement à son mari, le roi Ailill, mais à tous les
guerriers dont elle a besoin. La reine Guenièvre, avant que les écrivains
courtois ne la figent dans ses amours avec Lancelot, avait ce même caractère,
et ses rapports avec les chevaliers arthuriens sont plutôt ambigus. Il faut
dire que la fine amor , ou « amour
courtois », s’il est une exaltation de la féminité, est aussi et surtout
la reconnaissance de la notion de souveraineté incarnée par la Femme [179] . Tout
cela est le souvenir et la résurgence très forte, à certaines époques, d’un
état social antérieur à l’arrivée des Indo-Européens patriarcaux, où les
principes gynécocratiques étaient sinon plus développés, du moins aussi
importants que les principes androcratiques.
Mais il y a d’autres représentations de déesses accompagnées
d’animaux. Un bronze des Ardennes, conservé à la Bibliothèque Nationale de
Paris, nous montre une femme chevauchant un sanglier, et l’on croit qu’il
s’agit de la déesse Arduinna, éponyme des Ardennes. En vertu du symbolisme du
sanglier, ce serait davantage une divinité guerrière que chasseresse. Dans la
tradition galloise, le thème d’un lien entre une femme divine et le sanglier
apparaît nettement, en particulier dans certains épisodes du récit archaïque de Kulhwch et Olwen [180] .
Mais il y a aussi la Déesse aux Oiseaux, telle qu’on la voit sur une des
plaques du Chaudron de Gundestrup. Cela fait penser à la Morrigane-Bodbh, à la
fée Morgane, et à la Rhiannon de la tradition galloise dont les
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