Le glaive de l'archange
l’air. Son vêtement a sûrement été taillé pour un enfant bien plus jeune. Un maître lui aurait fourni des habits décents tout au moins.
— C’est un Maure, dit Judith avec obstination.
— C’est vrai, mais il se peut que ce ne soit ni un voleur ni un meurtrier.
La porte s’ouvrit, et Yusuf apparut. Judith vit en face d’elle un garçon de dix ou douze ans, d’une maigreur atroce, aux cheveux longs et emmêlés et au visage tout récemment lavé. Il avait de grands yeux apeurés, mais se tenait raide et la tête haute. Malgré sa chevelure hirsute, ses membres sales et ce manteau trop grand pour lui, c’était un bel enfant.
— Qui es-tu ? demanda Judith. Et d’où viens-tu ?
— Je m’appelle Yusuf, répondit le garçon, et je viens de Valence.
— D’aussi loin ? Seul ? Je n’y crois pas.
— Oui. Seul.
— Qui est ton maître ?
— Je suis mon propre maître.
— Comment es-tu resté libre, si tu l’es effectivement ? demanda Judith d’une voix de procureur.
— Je suis libre, dit Yusuf. À trois reprises j’ai été enlevé par des voleurs et des trafiquants d’esclaves, et chaque fois je me suis échappé. La première fois fut facile : l’homme était saoul, mais ensuite ce fut plus difficile. J’ai honte de m’être fait prendre finalement par un aveugle sous prétexte qu’il a un bon visage.
— Tais-toi, enfant, dit vivement Judith. Tu es libre d’aller où tu le veux. Tu n’as pas besoin de rester ici à chercher ce que tu peux voler.
Les yeux de Yusuf se posèrent sur les restes d’une miche et sur quelques dattes posés sur la table.
— Je ne vole pas, dit-il, offensé. Sauf quelques miettes pour apaiser ma faim.
— J’en doute. Souviens-toi, je n’abrite pas de voleur dans cette maison.
Les deux combattants se toisaient du regard, Yusuf le menton relevé et Judith un peu penchée vers lui.
Isaac intervint pendant cet instant de calme.
— Si tu souhaites faire étape pendant un jour ou deux, dit-il, et travailler pour te payer les vêtements que tu portes, j’ai besoin d’un messager vif et prudent qui puisse me conduire en ville et m’éviter tout problème.
Il se tourna vers sa femme.
— N’est-ce pas exact ?
— Quelqu’un, oui, dit Judith. Mais…
— Jusqu’à ce que tu sois prêt à reprendre ton voyage, poursuivit Isaac. Dans cette maison un enfant comme toi est correctement vêtu et nourri. À la fin de l’année, il perçoit des habits neufs ainsi qu’une pièce d’argent.
— Isaac !
— Mais tu ne désires pas rester jusqu’à la fin de l’année. Tu te contenteras donc du vivre et des habits.
Judith s’adressa à son mari tout en continuant de regarder fixement Yusuf :
— S’il doit rester une nuit de plus, Ibrahim le conduira aux bains. Il n’est pas en état d’accompagner mon mari.
— En premier lieu, dit Isaac, propre ou pas, je souhaite qu’il m’accompagne au couvent ce matin même. Nous nous arrêterons aux bains sur le retour.
La porte se referma sur Isaac et le garçon.
— Je connais le chemin le plus court pour vous rendre au couvent, seigneur, dit Yusuf en prenant le médecin par la main.
— Patience, Yusuf, le couvent n’est pas notre seule destination. Nous avons d’autres commissions ce matin. D’abord le marché, puis je rendrai visite à un scribe.
— Je connais un scribe à l’ alcaicería, seigneur. Je peux vous y emmener ?
— Je parle d’un scribe très particulier, Yusuf, dont la fonction le retient au palais épiscopal ainsi qu’au tribunal. Pour le trouver en sa maison, nous devons nous rendre à Sant Feliu. Si tu veux être mon fidèle guide, ajouta-t-il, tu dois aussi, par nécessité, être parfois le gardien de mes secrets. Seras-tu mon guide ? demanda-t-il. Retarderas-tu ton voyage pendant un certain temps ?
Yusuf hésita :
— Combien de temps ? Car j’ai une promesse solennelle à tenir, seigneur.
— Assez longtemps pour que tu te reposes, manges et prennes un peu de poids. Dirons-nous jusqu’à la troisième pleine lune après celle qui brillera dans quatre jours ?
— Ensuite vous me relâcherez ?
— Je ne te retiens pas, Yusuf. Mais alors je te forcerai à partir si c’est cela que tu souhaites. Je t’en fais la promesse. Eh bien… veux-tu être mon guide fidèle et le gardien de mes secrets ?
Yusuf regarda le sourire un peu ironique de l’aveugle et secoua la tête.
— Je ne sais pas,
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