Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
commença à
descendre l’escalier.
V
Depuis
plus d’un siècle, Lynton Hall dominait majestueusement les plaines et les
collines boisées du nord du Devonshire. En 1730, l’arrière-grand-père de lord
Julian Ashcroft, le vénérable lord Edmund Westbury, avait fait appel à un
architecte vénitien pour lui ériger un palais inspiré de l’Antiquité romaine,
dans le plus pur style palladien. Dix ans de coûteux travaux avaient débouché
sur une réalisation à la fois sobre et grandiose. Monumental, le bâtiment se
déployait sur trois étages autour d’une cour pavée rectangulaire. Les façades
aux proportions harmonieuses de Lynton Hall étaient agrémentées en leur centre
d’immenses portiques à colonnes doriques soutenant des frontons triangulaires,
eux-mêmes surmontés de statues de dieux mythologiques. La façade principale du
château, orientée vers le sud, était la plus imposante ; son portique
reposait sur trois arches de pierre de grès, tandis qu’au sommet voisinaient
des sculptures figurant Jupiter, Diane et Vénus.
Lynton
Hall était bordé de pelouses d’un vert intense jouxtées par de splendides
jardins à la française dont l’agencement d’une parfaite géométrie flattait
l’œil sans l’égarer. Les terres vallonnées du domaine de Julian s’étendaient
ensuite à perte de vue sur plusieurs centaines d’acres, rejoignant quelque part
les landes d’Exmoor. Au nord, derrière la ligne d’horizon, l’Atlantique venait
mourir dans le canal de Bristol.
Devant le château
coulait une large rivière aux flots d’un bleu translucide ; elle
serpentait à travers toute l’étendue du parc avant de disparaître dans la forêt
avoisinante. Des ponts de bois sculpté l’enjambaient à intervalles réguliers.
C’était non loin d’un de ces ponts, à l’ombre d’un grand cèdre du Liban, que Cassandra
et son ami lord Ashcroft prenaient le thé que venait de leur servir un
domestique, enveloppés par le doux murmure de la rivière et le pépiement des
oiseaux nichés dans l’arbre au-dessus d’eux. Tout en savourant sa boisson,
Cassandra promenait son regard sur le domaine, admirant les haies taillées au
cordeau, les avenues plantées de sycomores et de tilleuls, l’incroyable
profusion de fleurs aux couleurs éclatantes – roses, lys, glaïeuls, asters,
tulipes, magnolias, azalées, mauves et pétunias – que l’approche de l’automne
n’avait pas encore flétries. Le soleil avait entamé son lent déclin vers
l’ouest et baignait Lynton Hall de lueurs orangées. Le classicisme de son
architecture, la pureté de ses lignes formaient un contraste frappant avec le
manoir gothique alambiqué que possédait Cassandra dans le Surrey, à proximité
de Londres. La jeune femme vouait néanmoins une affection particulière aux
lieux qu’elle connaissait parfaitement, puisque c’était à Lynton Hall que, six
ans plus tôt, elle avait rencontré Julian. Alors au faîte de sa carrière de
cambrioleuse, qu’elle menait sous le pseudonyme d’Artémis, elle avait tenté de
lui dérober une toile du Caravage. Julian l’avait surprise lors de sa tentative
mais, contre toute attente, ne l’avait pas livrée à la police. Et, bien que
tout les séparât, ils étaient devenus amis.
Malgré le plaisir que
lui procurait la compagnie de Julian et des siens, Cassandra ne pouvait
s’affranchir d’un sentiment de malaise. Sa dernière visite à Angelia l’avait
ébranlée. À chaque seconde, une angoisse sourde grandissait en elle.
– Cassandra ?
Elle releva brusquement
la tête et rencontra le regard interrogateur de Julian.
– Que se passe-t-il,
Cassandra ?
La jeune femme reposa sa
tasse sur la table et se força à sourire à son ami.
– Rien
de grave, je vous rassure, mentit-elle, peu désireuse d’évoquer Angelia dans ce
cadre idyllique.
L’arrivée
d’un valet apportant les journaux la dispensa de s’expliquer davantage. Julian
s’empara du premier de la pile, le Times, et le déplia. Il soupira
en découvrant les gros titres du jour.
– La
Dame Noire a encore frappé la nuit dernière, annonça-t-il.
Cassandra balaya
aussitôt le sujet du revers de la main.
– Je
vous en prie, Julian, n’évoquons pas ces meurtres. Megan ne cesse déjà d’en
parler à la maison. Je ne comprends pas la fascination morbide qu’elle éprouve
pour ces atrocités.
– Comme vous voudrez,
sourit Julian en reposant le Times.
Un
babillement joyeux leur
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