Le Livre D'émeraude : Les Aventures De Cassandra Jamiston
de
modèles au cours de sa carrière qu’il a tendance à tous les confondre, et il a
été incapable de se souvenir du nom de cette femme. En revanche, il se rappelle
parfaitement que le tableau était une commande de son mari. Lorsque le portrait
a été terminé, il a estimé qu’il ne rendait pas justice à la beauté de son
épouse et a refusé de le payer. Rosselli n’a toujours pas digéré cet
affront !
– Mais cette femme
était-elle italienne ?
Julian secoua la tête.
– Je suis navré mais il
n’a pu nous en dire davantage.
Cassandra
continuait à scruter la toile en même temps qu’une vague de tristesse affluait
en elle. La vue du tableau avait fait resurgir, plus aiguë que jamais, la
souffrance liée à son amnésie. Les souvenirs de Cassandra ne débutaient
réellement qu’à compter du moment où les Ward l’avaient recueillie à l’âge de
treize ans ; c’était Andrew qui l’avait trouvée à moitié morte de faim et
de froid dans une ruelle de Londres, et qui avait convaincu son père, le
docteur Philip Ward, de la ramener chez eux. Avant cela, sa mémoire n’était que
parcellaire. Cassandra ne possédait aucun souvenir de ses parents, elle
ignorait même s’ils étaient encore en vie, et les rares images qu’elle
conservait de son enfance étaient toutes liées à Angelia.
Seule
sa sœur aurait pu l’aider à combler les vides qui parsemaient sa mémoire, mais
Angelia s’était murée dans un silence têtu chaque fois qu’elle avait tenté
d’aborder le sujet avec elle.
– Pardonnez-moi,
dit doucement Julian, il n’était pas dans mes intentions en vous offrant ce
portrait de vous bouleverser ainsi.
Cassandra releva
vivement les yeux du tableau.
– Oh
non, ne vous excusez pas ! Je ne suis pas bouleversée, juste… intriguée.
Elle
se força de nouveau à sourire, tout en se promettant de montrer la toile à Angelia
dès son retour à Londres, et d’obtenir enfin des réponses à ses questions.
VI
Dans
un ultime chatoiement, les derniers feux du soleil glissaient sur Londres et
les pelouses de Hyde Park. Avec la tombée de la nuit, celui-ci se vidait peu à peu
de ses promeneurs, mais quelques somptueux équipages avec cocher et laquais en
livrée sillonnaient encore ses allées de gravier. Il était huit heures et demie
passées lorsque Jeremy Shaw pénétra dans le parc par l’entrée connue sous le
nom de Hyde Park Corner, qui donnait sur le quartier de Piccadilly et revêtait
la forme d’un arc triomphal doté de trois arches pour les véhicules et deux
autres à destination des piétons. Jeremy franchit les portails de bronze qui
luisaient dans le crépuscule et se dirigea vers la statue de lord Wellington,
vainqueur de Napoléon à la bataille de Waterloo. Faisant face aux croisées
d’Apsley House, la résidence londonienne du Duc de fer, la statue, réalisée en
1822 à partir des souscriptions faites par les Ladies d’Angleterre, avait été
coulée avec les canons pris dans les batailles de Salamanque, Vittoria,
Toulouse et Waterloo. Le duc de Wellington était représenté sous les traits
d’un colossal Achille, debout sur un piédestal de granit, ce que Jeremy avait
toujours jugé ridicule. Il trouvait grotesque d’avoir mis sur le torse robuste
et le cou musculeux du vainqueur d’Hector la tête britannique de l’honorable
duc avec son nez recourbé, sa bouche plate et son menton carré.
Il
alla néanmoins se poster au pied de la statue et observa les environs. Le temps
était lourd, et Jeremy transpirait à grosses gouttes. Il retira son chapeau
melon bosselé et s’essuya le front avec un grand mouchoir. Puis il sortit de la
poche de sa veste un morceau de papier froissé qu’il déplia et relut.
En
sortant de chez Megan Ward la veille, Jeremy s’était rendu directement dans
Fleet Street, le quartier général de la presse londonienne, où se trouvait
notamment le siège de son journal, le London City News. Il avait
découvert, posée en évidence sur son bureau, au milieu d’un incroyable fatras
de papiers, de plumes et de crayons, une enveloppe sur laquelle son nom avait
été tapé à la machine. Elle contenait une simple feuille pliée en quatre, sur
laquelle figurait une unique phrase : « Si vous désirez en apprendre
davantage au sujet de la Dame Noire, rendez-vous demain soir, à neuf heures,
près de la statue de Wellington dans Hyde Park. »
Jeremy
avait interrogé ses collègues pour savoir qui avait
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