Le piège
retournait, ne pouvant croire qu’on ne le suivait pas.
Des lampadaires brillaient dans les arbres. Sa joie d’être libre n’était
pourtant pas complète. Il se demandait comment il se faisait que sa femme fût
venue à Vichy et que ce simple fait eût suffi à le faire relâcher. C’était
bizarre. Il pensait à Saussier. Ce dernier lui avait dit de revenir le
lendemain. Les choses se passaient donc un peu comme si, ayant un répondant, il
n’était plus nécessaire de s’assurer de sa personne, comme si Yolande avait
donné toutes les garanties, qu’elle avait servi en quelque sorte de caution et
également comme si, en desserrant l’étreinte, en lui permettant de regoûter à
la douceur de la vie, la police comptait tirer de lui plus facilement ce qu’elle
désirait. Car, tout de même, il était étrange qu’à dix heures et demie du soir,
alors qu’on avait décidé de le faire coucher au poste, on eût changé d’avis. Ce
n’était certes pas un tardif remords ni l’apparition subite d’un fait prouvant
son innocence qui expliquaient une pareille générosité. On ne se fût pas
dérangé pour si peu. On eût certainement estimé pouvoir attendre jusqu’au
lendemain. Tout cela était assez singulier. Yolande avait évidemment plaidé sa
cause. Mais qu’avait-elle pu invoquer et d’où venait le pouvoir dont elle
venait de faire preuve ?
Tout en marchant, Bridet craignait de plus
en plus que sa femme n’eût fait une nouvelle gaffe, qu’elle ne l’eût
maladroitement défendu, qu’elle ne se fût portée garante de sa loyauté et qu’elle
n’aggravât demain ses soucis en se faisant arrêter elle aussi comme sa complice.
Elle avait été capable, avec sa légèreté, avec cette manie de croire qu’on ne
vérifiait jamais ce qu’elle disait, de donner des preuves inexistantes de la
fidélité de son mari au Maréchal. Et demain matin, tout s’effondrerait. Il
aurait l’air d’avoir voulu tromper la police, d’avoir fait lui-même la leçon à
sa femme.
Bridet réfléchissait ainsi quand il arriva
à l’hôtel. Non, ce n’était pas possible. Il connaissait Yolande. Elle avait
toujours été hitlérienne, c’était vrai. Elle avait souvent dit avant la guerre :
« Ce qu’il faudrait chez nous, c’est un Hitler. » Mais elle n’était
pas bête. Elle savait bien que Pétain, ce n’était pas Hitler. Il était surtout
trop vieux.
Yolande était couchée. Elle avait rangé ses
vêtements avec beaucoup de soin. Elle était adossée à l’oreiller. La lampe de
chevet était allumée.
— Que je suis heureuse de te voir !
s’écria-t-elle dès que Bridet eut pénétré dans la pièce.
Elle ne sortit pas du lit, mais elle se
souleva pour embrasser son mari. Puis elle se laissa retomber en arrière, comme
si, maintenant que Bridet était là, elle pouvait s’abandonner. Elle avait eu
tellement peur... On lui avait promis de relâcher son mari le soir même, mais
elle avait craint, en ne le voyant pas revenir, qu’on ne tînt pas parole. Elle
venait de passer deux heures affreuses, mais il ne fallait plus y penser
puisque c’était fini, puisqu’il était là... Ah, comme elle était heureuse !
— Je ne comprends rien à ce qui est
arrivé, dit Bridet.
— Il n’y a rien à comprendre, dit
Yolande.
— Comment es-tu venue ? Qu’est-ce
qui s’est passé ? demanda Bridet.
— Je te l’ai déjà dit. Outhenin m’a
téléphoné.
— Pourquoi ?
— Je t’expliquerai cela, mon chéri.
Laisse-moi, pour le moment, être heureuse. Mets-toi à ma place. Tu n’es pas
content ? Tout est arrangé, mon chéri.
Bridet s’assit dans le fauteuil. La joie de
sa femme ne le rassurait pas du tout. Les contacts qu’il venait d’avoir avec la
police étaient bien trop sérieux pour que sa méfiance se dissipât sur une
simple affirmation de Yolande. Il avait besoin de savoir. Pour le moment, il
estimait que rien n’était changé. La mansuétude de la police cachait quelque
chose. On devait tromper Yolande. On se servait d’elle. Et cette brave fille ne
voulait pas lui dire exactement ce qui s’était passé ! Oui, sans aucun
doute, il en avait à présent la certitude, on se servait d’elle. C’était bien
dans les méthodes de ces messieurs. Quand on ne peut pas démasquer les gens, on
les prend de biais, par les êtres qui leur sont chers. C’est le coup classique.
On avait dû avoir beaucoup d’égards pour Yolande. Par ce moyen, on est
Weitere Kostenlose Bücher