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Le prix du sang

Le prix du sang

Titel: Le prix du sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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l’un l’autre. Lorsque Mathieu glissa la clé dans la serrure de la porte du commerce, elle demanda :
    â€” Tu crois que papa avait deviné? Quand on lit les paroles du testament…
    â€” Que tu voulais imiter Irma Levasseur? Je ne pense pas. Mais lui, maman et moi, et sans doute aussi Gertrude, nous nous doutions bien que tu n’élèverais pas douze enfants pour repeupler la patrie ni ne deviendrais religieuse pour convertir les païens.
    â€” Tu es au moins le meilleur grand frère de la rue. Mais pas de toute la ville, comme tu le répètes souvent… Prétentieux.
    Dès que la porte s’ouvrit, elle s’engouffra dans le magasin et s’engagea dans l’escalier en courant. Ses talons ferrés résonnaient joyeusement contre le bois. Mathieu réalisa alors que, depuis plus d’un mois, ce bruit familier s’était tu. Combien il lui avait manqué!

3
    Le domicile des Picard, dans la rue Scott, demeurait toujours aussi imposant. Une tourelle décorative flanquait la solide maison de brique. La façade s’ornait d’une longue galerie couverte où, les jours d’été, les membres de la famille venaient boire un thé glacé ou une limonade. Ces occasions permettaient de parler de choses et d’autres, de lire un peu ou alors de regarder les passants. Habitant juste un peu plus bas dans la même artère, Fernand Dupire connaissait bien cet endroit. Bien qu’il fût plus jeune de deux ans, Édouard avait été le meilleur – en vérité, le seul – ami de son adolescence. La rebuffade encaissée de la part de la grande sœur, tout comme la fin des études du fils du commerçant, les avaient éloignés peu à peu.
    Un instant après avoir entendu le son du heurtoir de bronze contre la surface de la porte, une jeune bonne de vingt-deux ou vingt-trois ans vint ouvrir. Le visiteur reconnut Jeanne, l’adolescente recrutée des années plus tôt. Depuis, la petite maigrichonne était devenue une femme.
    â€” Monsieur?
    â€” Mademoiselle Eugénie doit m’attendre.
    Ã€ ce moment, la fille de la maison apparut dans le vestibule, un peu pâle, la mine empruntée.
    â€” Je vais m’occuper de monsieur Dupire. Par cette chaleur, je crois que le mieux serait d’apporter le thé à l’arrière. Ce sera plus confortable que le petit salon.
    â€” Chaud ou froid?
    Â«Â Ou, formulé autrement, comme les Anglais ou les Américains », songea la jeune femme. Elle regarda le visiteur et demanda, un sourire – son premier – sur les lèvres :
    â€” Qu’en pensez-vous, Fernand?
    â€” Bien que je ne comprenne pas pourquoi, il semble que mieux vaut boire chaud pour combattre la canicule… Eugénie.
    L’emploi des prénoms, plutôt que des formels « Monsieur » et « Madame », marquait une étape importante dans le développement de leurs rapports.
    â€” En conséquence, Jeanne, mieux vaut nous apporter une boisson brûlante… Suivez-moi.
    Les derniers mots s’adressaient au visiteur, qui emboîta le pas à son hôtesse. L’entrée donnait sur un long corridor menant jusqu’à l’arrière de la maison. L’escalier conduisant à l’étage débouchait sur celui-ci. Édouard, une raquette à la main, descendait justement.
    â€” Fernand!… J’ai malheureusement un petit rendez-vous sportif avec des collègues.
    â€” Cela tombe plutôt bien, car justement, je ne venais pas te voir, prononça le notaire un peu rougissant, tout en acceptant la main tendue.
    Le jeune homme le contempla un moment, puis porta les yeux sur sa sœur, dont les joues rosissaient très vite.
    â€” … Je comprends. Alors je vous souhaite à tous les deux une bonne fin d’après-midi.
    Il s’esquiva tout de suite. Eugénie mena son visiteur jusqu’à un minuscule boudoir sans meuble aucun. La pièce ne servait qu’à permettre l’accès à l’une des deux portes s’ouvrant sur la cour arrière. Fernand découvrit une belle surface de verdure soulignée de quelques lilas, de rosiers rustiques et d’un érable suffisamment majestueux pour jeter son ombre sur un large espace.
    â€” C’est curieux, je ne me rappelais pas les lieux ainsi. Excepté cet arbre, tout paraît

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