Le prix du sang
des bijoux », la réponse le laissa pantois.
â Exactement ce que mon père a écrit : choisir librement ce que sera ma vie.
Mathieu la regarda avec fierté. Son instinct le lui disait, lâadolescente savait déjà précisément ce que deviendrait son existence.
Le notaire Dubois remit le testament dans la chemise et précisa encore à lâintention de la veuve :
â Je mâoccuperai, si vous le désirez, de préparer de nouveaux actes de propriété. Quand vous aurez les chèques des compagnies dâassurances, je pourrai préparer les documents relatifs à la fiducie.
â Excellente idée, répondit Marie. Vous préparerez aussi un nouveau testament pour moi. Rien de compliqué : tout ce que je possède ira en parts égales aux enfants.
â Ce sera fait dans quelques jours. Bien que cela paraisse tout à fait improbable pour une personne aussi jeune, il conviendrait de prévoir la nomination dâun tuteur pour les enfants, si votre propre décès survenait. Votre beau-frère, peut-êtreâ¦
Un éclair noir passa dans les yeux de Marie, sa bouche se crispa en une mince fente.
â Jamais. La tutrice sera Gertrude Dugas. Et précisez dans le testament que les enfants devront la soutenir à même leurs revenus sa vie durant, si je meurs avant elle⦠Ils y auraient pensé tout seuls, ajouta-t-elle après une pause en les englobant du regard, mais écrivez-le tout de même. Vous devez avoir lâhabitude, alors vous me proposerez un montant raisonnable.
â Vous voulez dire la domestique?
â Je veux dire une amie fidèle.
Le professionnel salua ses clients avec des poignées de main, réitéra une dernière fois ses condoléances et les regarda quitter la pièce en dissimulant mal sa surprise. Jusque-là , Alfred Picard lui semblait original. Sa famille se révélait lâêtre encore plus.
* * *
Pendant le court trajet jusquâau magasin, Marie demeura songeuse. Le tabellion avait raison, il lui fallait prévoir lâimprévisible et prendre les bonnes décisions, tout comme Alfred, cinq ans plus tôt, au moment dâétablir son testament. Avec la propriété du commerce venait cette responsabilité.
Mathieu, quant à lui, ruminait la recommandation de son père adoptif : récupérer les cinq sixièmes de lâaffaire Picard. à moins dâépouser Eugénie, cela lui semblait irréalisable. Lâidée lâamusa. Un mariage semblable demeurait totalement impossible : personne ne saurait jamais quâelle était sa demi-sÅur, mais les prélats condamneraient toujours une union entre cousins du premier degré. Lorsquâil poussa la porte du commerce, une seule solution lui parut réaliste : devenir riche.
Quant à Thalie, débarrassée de son chapeau, elle vendit des rubans et des dentelles toute la journée avec son habituelle affabilité. Toutefois, en lâabsence de clientes, un air songeur venait hanter son visage. Une fois le magasin fermé, un peu hésitante, elle demanda à Mathieu :
â Viens-tu avec moi au parc?
â Nous allons manger dans une demi-heure, tout au plus, intervint Marie.
â Quelques minutes seulement. La journée a été longue, un peu dâair me fera du bien.
La mère donna son accord et verrouilla la porte derrière eux. La goulée dâair servait de prétexte, devina-t-elle. Sa fille désirait confier ses réflexions de la journée à son grand frère.
Le parc Montmorency se trouvait tout près, au-delà de la basilique et de lâarchevêché. La jeune fille gagna son banc préféré, juste devant le muret de pierre destiné à empêcher les imprudents de dévaler la falaise. Quand son frère sâassit à sa droite, elle commença :
â Tu ne mâen veux pas?
â Grands dieux, pourquoi tâen voudrais-je?
â Papa me laisse la même chose quâà toiâ¦
â ⦠Mais tu es autant son enfant que moi.
« Un jour, pensa Mathieu, je lui expliquerai quâelle a droit à tout lâhéritage dâAlfred, et moi, à rien de Thomas. » Les actions du magasin Picard étaient justement une façon symbolique de rétablir la filiation. Il continua après une pause.
â Tu le sais bien, jamais
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