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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul C. Doherty
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les yeux et frotta les dalles des pieds. Quand il me regarda à nouveau, son air et son ton s’étaient adoucis.
    — Madame, nous sommes tous pris dans la nasse : moi, les autres et Gaveston.
    Il rapprocha son siège.
    — Nous avons prêté serment sur l’honneur et avons imaginé de périlleux stratagèmes quand les temps étaient favorables. Ils se sont retournés contre nous comme des flèches barbelées en ces jours de détresse. Nous sommes engagés sans retour. Il n’y a d’échappatoire ni à gauche ni à droite. Il me serait possible de vous apprendre bien des choses, mais je ne le puis ; si ce n’est que si Lord Gaveston sombre, nous sombrons avec lui.
    — Pourquoi ? m’enquis-je. Pourquoi Lanercost s’est-il rendu en Écosse ?
    Il refusa de me répondre.
    — Pourquoi ? insistai-je.
    — Peut-être afin de trouver un refuge pour Lord Gaveston s’il veut repartir en exil, avança-t-il en évitant mon regard.
    — Ou un appui contre les barons ? suggérai-je.
    Rosselin évita derechef mon regard.
    — Est-ce vrai ? Gaveston pense-t-il à trahir ?
    — Je l’ignore. Je ne sais vraiment pas.
    — Mgr Gaveston n’a-t-il pas été navré par le trépas de Lanercost ?
    — Bien sûr, vous avez ouï les rumeurs. On dit que lui et Lord Gaveston ont été amants…
    — Et dans quoi êtes-vous impliqué à présent ?
    — Trop tard.
    Une tristesse infinie faisait vibrer la voix de mon interlocuteur. De dehors parvenaient les cris rauques des oiseaux de mer se détachant sur le roulement étouffé des vagues qui s’écrasaient contre les rochers.
    — Que voulez-vous dire par « trop tard » ?
    — Juste « trop tard » !
    — Vous êtes donc ici pour garder la reine ?
    — En effet. Je ne peux guère vous en dire plus, madame. C’est trop tard, trop tard. Nous sommes engagés envers notre seigneur, même si le procès qu’on nous fait devient accablant. Trop tard pour la pénitence.
    Il soupira.
    — Trop tard pour la contrition, trop tard pour l’absolution.
    — Dans ce cas, pourquoi êtes-vous venu me voir maintenant ?
    — Vous savez bien que Kennington n’a pas déserté. Il est mort. Je vous ai observée, madame. Sans vouloir vous flatter, vous êtes honnête. Vous êtes compatissante. Mis à part mon seigneur et mes camarades, je suis seul. Si je péris…
    Il ouvrit son escarcelle dont il sortit deux pièces d’or. Il voulut à toute force que je les prenne et les pressa dans ma main.
    — Faites brûler des cierges, me pria-t-il en se levant. Qu’un prêtre murmure l’absolution à mon oreille. Allez dans une chapelle et faites chanter la messe des défunts pour mon âme. Quant à mon corps, assurez-vous que je ne serai pas traité comme une carcasse de chien, mais que je serai honorablement enterré en terre consacrée.
    Je voulus lui rendre les pièces, mais il fit un signe de dénégation.
    — Madame, vers qui d’autre puis-je me tourner ? Je vous fais confiance.
    Il se dirigea vers l’huis.
    — Messire Rosselin ?
    Il se retourna.
    — Qui réclame votre vie ?
    — Dieu. Il se peut que je crève comme un chien parce que j’ai vécu comme un chien qui revient sans cesse à son vomi.
    Il s’inclina et se faufila dehors.
    Je compris alors à quel point les paroles d’Isabelle étaient justes. Le miroir se ternissait. La lumière ne tarderait pas à s’éteindre.
    Plus tard, ce jour-là, on retrouva les cadavres de Kennington et de ses deux compagnons, flottant dans la houle de la mer démontée. J’observai leur transport à la tour Duckett. Ils semblaient être tombés avec chapes, bottes et ceinturons, maintenant lacérés par les vagues qui les avaient roulés, les rochers qui les avaient accrochés. Les trois corps étaient repoussants : bouffis et gonflés d’eau salée, disloqués par la chute et projetés contre les rochers par les flots, ils n’étaient que blessures, entailles et contusions. Il était presque impossible d’en conclure quoi que ce soit, sinon qu’ils avaient chu tout droit sur les rochers, qu’ils avaient été entraînés par la mer, puis ramenés par le tumultueux ressac. Trois dépouilles révélant la véritable horreur de la mort violente, qu’elle soit meurtre ou suicide, voilà ce qu’ils étaient. Dunheved administra les derniers sacrements. Rosselin et Middleton conduisirent le deuil pendant la triste messe de requiem dans la lugubre chapelle, suivie par un rapide ensevelissement dans le

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