Le retour

ce
beau dimanche avant-midi, la circulation était passablement lourde et, de toute
évidence, bien des automobilistes avaient eu l'idée de sortir de la ville pour
profiter de la chaude température. Il fallut près de deux heures pour se rendre
à la plage de Pointe-Calumet et, à l'arrivée des Morin, la plupart des tables à
pique-nique étaient déjà occupées par des familles.
     
    Pierre roula
lentement jusqu'à une table à l'extrémité du terrain. L'inconvénient qu'elle
soit située loin de la
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    plage était
cependant largement compensé par le fait qu'elle était placée à l'ombre d'un
gros érable, ce qui plut énormément à Laurette.
     
    - On va être ben,
déclara-t-elle au moment où les hommes sortaient les provisions du coffre pour
les déposer sur la table.
     
    - Il est déjà
midi, fit remarquer Gérard en consultant sa montre.
     
    - On pourrait
peut-être se baigner un peu avant de manger, suggéra Pierre. Parce qu'après le
repas, il va falloir attendre un bon deux heures avant de se baigner. Il paraît
que c'est ben dangereux d'attraper des crampes si on fait pas ça.
     
    - Moi et mon
mari, on se baigne pas, déclara Laurette.
     
    Si vous voulez
aller vous tremper avant de manger, les jeunes, vous pouvez ben le faire.
     
    - Où est-ce qu'on
peut se changer? demandèrent Carole et Denise.
     
    - Il y a des
toilettes là-bas, fit Gérard en leur indiquant deux petits édicules érigés à la
limite du terrain.
     
    - Vous viendrez
nous rejoindre dans l'eau, dit Richard.
     
    Nous autres, on a
mis notre costume de bain en dessous de nos pantalons.
     
    Pendant que
Pierre et Richard se retiraient près de l'automobile pour enlever leur chemise
et leur pantalon, Laurette regardait les enfants qui s'amusaient au loin en
s'éclaboussant dans l'eau et en poussant des cris d'excitation.
     
    Elle envia les
baigneurs de pouvoir s'ébattre dans de l'eau fraîche. Elle aurait bien aimé les
imiter, mais elle n'avait jamais eu de costume de bain et elle ne possédait
surtout pas l'argent nécessaire pour s'en procurer un.
     
    Quand elle vit de
jeunes mères en maillot s'avancer vers leurs enfants pour mieux les surveiller,
elle détourna la tête.
     
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    "Te vois-tu
en costume de bain? se dit-elle. T'aurais l'air d'une grosse baleine blanche.
Tout le monde rirait de toi, bonyeu! " - Bon. M'man, vous direz aux filles
qu'on va être juste en face, lui dit Richard en apparaissant à ses côtés, vêtu
de son costume bleu délavé par le chlore de la piscine du bain Quintal.
     
    - C'est correct,
répondit sa mère.
     
    - Si vous avez
besoin de quelque chose dans la valise, madame Morin, j'ai laissé les clés dans
la serrure, fit Pierre Crevier en arrivant à son tour près d'elle.
     
    Les deux jeunes
se dirigèrent vers l'eau en courant sous l'oeil inquisiteur de Laurette.
L'amoureux de Denise dépassait Richard d'une demi-tête et ses épaules étaient
deux fois plus larges que celles de l'adolescent. Ses bras étaient aussi épais
que ses cuisses.
     
    - C'est toute une
pièce d'homme, ce Pierre-là, dit-
    elle, admirative,
à son mari qui venait d'étaler une couverture à l'ombre, sous l'érable.
     
    - L'important,
c'est ce qu'il a dans la tête, pas dans les bras, fit Gérard un brin acerbe.
     
    La mère de
famille venait à peine d'allumer une cigarette quand elle vit revenir ses deux
filles en maillot de bain. L'une et l'autre avaient une ligne agréable et
attiraient le regard des hommes présents sur la plage.
     
    - Verrat que
j'aime pas ça vous voir vous promener comme ça, la falle à l'air devant tout le
monde! leur dit Laurette. Ça vous gêne pas?
     
    - Ben, m'man, on
est sur une plage, répondit Denise.
     
    Tout le monde est
habillé comme ça.
     
    - Peut-être mais
quand vous reviendrez mouillées, vous vous mettrez une serviette autour de la
taille. Pierre et Richard sont juste en face. Ils vous attendent. Restez pas
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    trop longtemps dans
l'eau. Nous autres, on commence à avoir faim.
     
    Après leur
départ, Gérard ne put s'empêcher de dire à sa femme:
     
    - Cybole,
Laurette! T'aurais dû entrer chez les soeurs plutôt que de te marier. On dirait
que t'as peur que tes filles montrent le plus petit bout de peau.
     
    - Laisse faire,
toi, répliqua sèchement sa femme. Ce sera pas le temps d'y voir quand il y en
aura une qui nous reviendra à la maison en famille.
     
    Pendant que les
jeunes se baignaient, Laurette entreprit d'étaler une vieille nappe sur