Le retour
rue?
demanda Laurette à sa fille dès qu'elle entra dans la cuisine.
- Ben, m'man, je
traînais pas, se défendit l'adolescente, outrée. En sortant de chez Carrière,
je suis tombée sur le voisin qui revenait de son ouvrage. Il m'a parlé. Il
fallait ben que je lui réponde. J'étais pas pour lui dire que je pouvais pas
lui parler parce que ma " mouman " voulait pas que je lui parle.
- C'est correct,
accepta sa mère. Assis-toi et mange.
Après le souper
pris dans une chaleur d'étuve, Gilles et Denise retournèrent travailler. Carole
alla chercher son amie Mireille avec qui elle voulait aller se baigner au bain
Quintal après que sa mère lui eut déclaré qu'il faisait trop chaud pour se
lancer dans le lavage hebdomadaire. Richard entraîna son père au stade De
Lorimier pour assister à un match de baseball.
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Dès que la maison
se fut vidée de ses occupants, Laurette s'empressa de sortir sa chaise berçante
sur le trottoir avec la ferme intention de n'en plus bouger de la soirée. Elle
garnit son étui à cigarettes et se munit d'une bouteille de Coke avant de
s'asseoir pesamment sur sa chaise.
En ce début de
soirée, le ciel s'était couvert de lourds nuages, et pas la moindre brise ne
soufflait sur la petite rue Emmett. On entendait des cris d'enfants en
provenance de la rue Archambault et quelques adolescents s'étaient rassemblés
devant chez Paré. Certains s'étaient assis sur les dernières marches de
l'escalier tandis que d'autres, cigarette au bec, tentaient d'attirer
l'attention de quelques adolescentes qui se pavanaient non loin, en robe à
crinoline.
Comme d'habitude,
Laurette avait repoussé sa chaise berçante contre le mur pour ne pas nuire aux
rares passants.
Elle se berçait
doucement, attentive à tout ce qui se passait autour d'elle. Quelques minutes
plus tôt, elle avait salué Rose Beaulieu qui revenait de faire son épicerie,
chargée de deux sacs lourds en papier Kraft.
- C'est effrayant
comme elle est grosse, cette femme-
là, se dit-elle
après avoir vu la voisine, la respiration courte, déposer ses sacs par terre
devant la porte pour trouver sa clé au fond de son sac à main.
Elle avait eu peu
d'occasions de parler avec sa nouvelle voisine depuis trois mois. Elle la
connaissait juste assez pour la savoir timide et effacée. Cela ne l'empêchait
pas de la plaindre d'être obligée de supporter son ivrogne de mari qui passait
son temps à la maltraiter, particulièrement quand il avait bu.
- Elle est plus
grande et plus grosse que lui, ne cessait-
elle de dire à
son mari quand Vital Beaulieu faisait une crise à l'étage au-dessus. Qu'est-ce
qu'elle attend pour lui serrer les ouïes?
360
- Mêle-toi pas de
ça, lui ordonnait invariablement son mari. C'est pas de tes affaires ce qui se
passe chez les voisins.
Quelques minutes
plus tard, Laurette entendit des volets s'ouvrir au-dessus d'elle et aperçut sa
voisine en train d'installer un oreiller pour s'appuyer contre le rebord de la
fenêtre.
- C'est ben
effrayant comment il fait chaud en dedans, lui dit Rose Beaulieu en s'épongeant
le front quand elle s'aperçut que Laurette avait levé la tête vers elle.
Pendant plusieurs
minutes, les deux femmes se parlèrent comme si elles se connaissaient depuis
toujours. Laurette allait suggérer à sa voisine de descendre parce qu'elle
commençait à avoir le torticolis à force d'être obligée de toujours lever la
tête pour lui parler lorsque Rose Beaulieu lui dit soudain, la voix étrangement
changée:
- Je vais vous
laisser, madame Morin. Vlà mon mari.
Il aime pas trop
ça quand je parle aux voisins.
Avant même
d'avoir eu le temps de lui répondre, Laurette vit Rose enlever précipitamment
son oreiller de l'appui-fenêtre et refermer les volets. Un roulement de
tonnerre se fit entendre au même moment.
Laurette tourna
la tête à l'instant même où Vital Beaulieu traversait la rue Archambault en
diagonale, en direction de la rue Emmett.
L'homme de petite
taille semblait avoir encore fondu depuis la dernière fois qu'elle l'avait vu.
Il avait la démarche hésitante de l'ivrogne qui a sérieusement fait le plein.
Sa chemise était
à demi déboutonnée et il se parlait à voix haute.
- Bourré comme un
cochon et attriqué comme la chienne à Jacques, dit Laurette à mi-voix en
affichant un air de souverain mépris avant de détourner la tête.
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Vital
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