Le retour
père, lui ordonna-t-elle en prenant
son air le plus sévère.
Jean-Louis
s'assit à table, la mine basse, incapable de regarder sa mère dans les yeux.
- Est-ce qu'on
peut enfin savoir d'où tu sors?
demanda-t-elle
d'une voix coupante.
Le jeune homme se
contenta de baisser la tête sans rien dire.
- Tu pars comme
un maudit sauvage de la maison.
Pendant quatre
mois et demi, pas moyen d'avoir de nouvelles. Puis v'ià qu'à matin, tu reviens
ici dedans, comme si de rien était.
Jean-Louis
esquissa le geste de se lever, comme s'il voulait partir.
- Reste assis et
réponds-moi comme un homme, s'emporta sa mère, les dents serrées. Qu'est-ce qui
s'est
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passé? Je suis
même allée te courir chez Dupuis pour me faire dire que tu travaillais plus là.
Toujours sans
oser regarder sa mère, le garçon de vingt-
deux ans se mit à
raconter d'une voix hachée ce qu'il avait vécu depuis qu'il avait quitté le
toit familial.
- Comme je l'ai
dit à p'pa quand il est venu me voir, Jacques m'avait offert d'aller rester
chez eux.
- T'aurais pu
nous en parler au lieu de partir comme un voleur, lui reprocha sèchement sa
mère.
- Au mois d'août,
Jacques a trouvé une compagnie à Longueuil qui avait besoin d'un comptable,
poursuivit son fils sans tenir compte de son interruption. Il a lâché Dupuis et
il m'a fait engager. On a déménagé à Longueuil. La compagnie nous donnait dix
piastres de plus par semaine.
Ça valait la
peine. En plus, le loyer était moins cher là-bas.
- T'aurais pu
venir nous voir et nous raconter tout ça, fît sa mère, toujours pas calmée.
- Vous vous
seriez encore mise en maudit, laissa tomber Jean-Louis. En tout cas, au
commencement de septembre, j'ai perdu ma job parce que le boss a décidé tout à
coup qu'il avait plus besoin de deux gars à la comptabilité.
Ça fait que j'ai
été obligé de m'en chercher une autre.
- Où est-ce que
tu travailles à cette heure?
- Nulle part.
J'ai beau chercher tous les jours, je trouve rien, dit le jeune homme d'une
voix geignarde.
- Bon. Puis?
Comment ça se fait que tu te décides tout à coup à venir nous voir?
- Ben. Depuis le
commencement de l'automne, je continue à payer une pension chez Jacques. C'est
sûr qu'il est pas intéressé à me faire vivre. Depuis une semaine, j'ai plus une
cenne à la banque. Avant-hier, il m'a demandé de partir parce qu'il avait
trouvé un autre locataire, ajouta-t-il, les larmes aux yeux. Il m'a mis dehors.
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- Bonyeu! Fais un
homme de toi, s'emporta sa mère en maîtrisant sa voix avec peine. Où est-ce que
t'es resté les deux derniers jours?
- A la gare
Windsor. J'ai pas dormi ni mangé depuis deux jours, avoua-t-il, l'air
misérable.
- Bon. C'est
correct. Tu vas manger un morceau et aller te coucher après. Quand ton père se
lèvera, il décidera si on te garde ou pas. Fais-toi des toasts pendant que je
te fais cuire des oeufs.
Laurette saisit
une poêle et y fit cuire trois oeufs qu'elle fit glisser sur une assiette
qu'elle déposa devant son fils. Ce dernier en dévora le contenu en quelques
instants. Comme il se levait pour aller se coucher, sa mère lui précisa:
- Va te coucher
dans la chambre du fond et ôte ta valise dans l'entrée.
- Merci, m'man,
dit son fils en se levant.
Laurette ne
répondit rien, trop bouleversée par le retour de ce fils ingrat. Tout en
finissant la confection de ses tartes et de ses pâtés, la vague pensée des
relations qui avaient existé entre son Jean-Louis et Jacques Cormier
l'effleura, mais elle rejeta aussitôt les images qui lui venaient à l'esprit.
Son propre fils
ne pouvait pas être comme ça.
Vers une heure de
l'après-midi, Gérard se leva, mis en appétit par toutes ces odeurs
appétissantes qui embaumaient l'appartement.
- Je suppose
qu'on peut pas goûter à rien avant le réveillon, dit-il avec bonne humeur après
s'être rasé et habillé.
- T'as ben
deviné, répliqua Laurette. Mais as-tu deviné aussi qui est en train de dormir
dans la chambre à côté?
- Il y a
quelqu'un qui dort là? demanda Gérard, surpris.
- En plein ça.
- Qui?
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- Ton garçon
Jean-Louis.
- Ah ben, cybole!
s'emporta le père de famille prêt à se lever.
- Attends, lui
ordonna sa femme. Il faut d'abord que je te dise ce qu'il m'a raconté en
arrivant.
Laurette s'assit
à table en face de lui.
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