Le retour

quand tu vas revenir à la maison,
lui dit sa femme. Les Gravel s'en vont. Ils déménagent.
     
    - Voyons donc!
fit Gérard, incrédule.
     
    - Je te le dis.
Je suis justement allée parler à Emma Gravel hier matin. Elle m'a dit elle-même
qu'ils partaient à la fin du mois.
     
    - Qui s'en vient
rester à leur place?
     
    - On le sait pas
encore.
     
    - J'espère que ce
sera pas une grosse famille, dit Gérard. Ce serait pas endurable d'entendre
courir au-
    dessus de notre
tête du matin au soir.
     
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    Durant l'heure
suivante, Laurette laissa Richard parler de son emploi chez Impérial Tobacco et
Carole raconter comment elle avait aidé soeur Elisabeth à décorer sa classe
pour la campagne de la Sainte Enfance. Quand elle reprit la parole, ce fut pour
se plaindre de son nouveau poste de travail chez Viau et de l'augmentation du
prix de la nourriture.
     
    - Il paraît que
des Juifs vont ouvrir une grande grocery sur Sainte-Catherine, pas loin de
Papineau, dans pas longtemps, dit-elle à son mari. Ils appellent ça un
"supermarché
    ". Ça va
être gros sans bon sens. Au lieu d'avoir juste un petit comptoir pour payer, il
va y en avoir six ou huit, je sais pas trop. Ça va s'appeler Steinberg. Il y en
a qui disent que ça va être pas mal moins cher là. Il y a des chances que
j'aille essayer de faire mes commissions là un samedi matin, quand ça va être
ouvert.
     
    - Informe-toi
d'abord s'ils vont livrer? lui conseilla Gérard. T'aurais l'air fine avec tous
tes paquets dans les petits chars.
     
    - Prends-moi pas
pour une niaiseuse, s'insurgea Laurette.
     
    Il y eut un bref
silence avant qu'elle reprenne la parole.
     
    - Hier, les
garçons ont installé les jalousies et ôté les châssis doubles. Cette semaine,
ils m'ont dit qu'ils commenceraient le ménage de printemps de la maison.
     
    - J'espère que tu
penses pas à peinturer le logement?
     
    demanda son mari.
     
    - Ben non! J'ai
pas d'argent pour ça, même si une bonne couche de peinture ferait pas mal de
bien.
     
    - T'as pas eu de
trouble avec Tremblay pour le nouveau bail?
     
    - Pan toute. Il
voulait trois piastres de plus par mois, je suis arrivée à lui faire baisser
son augmentation à deux piastres. Pour la signature, il a rien dit.
     
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    Chaque année, au
début d'avril, les Morin avaient dû jouer la même comédie au fondé de pouvoir
de la compagnie Dominion Oilcloth, propriétaire de la plupart des maisons de la
rue Emmett. Comme il n'était pas question d'avouer le séjour prolongé de Gérard
au sanatorium, Laurette inventait une excuse pour expliquer l'absence de son
mari et demandait au moins une semaine pour remettre à Armand Tremblay le bail
dûment signé. Chaque fois, elle feignait de ne pas se rendre compte de
l'étonnement pourtant visible du petit homme de ne jamais voir son locataire.
Tous ces mensonges étaient le prix à payer pour ne pas se faire évincer de
l'appartement. La crainte de la tuberculose était telle que les voisins
n'auraient probablement pas hésité à exercer des pressions sur le fondé de
pouvoir pour chasser les Morin.
     
    Ensuite, Laurette
parla longuement de ses deux frères et de ce qui s'était passé dans leur quartier
depuis sa dernière visite, mais, étonnamment, son mari ne semblait pas
particulièrement intéressé par tout cela. Même les nouvelles de Denise et de
Jean-Louis ne parurent pas susciter un grand intérêt chez lui.
     
    Lorsqu'une
religieuse annonça la fin de la période des visites, Gérard se leva pour
raccompagner ses visiteurs jusqu'à la porte d'entrée. Dans le couloir, il fit
signe à ses deux enfants de marcher en avant.
     
    - J'aurais besoin
de dix piastres, chuchota-t-il à Laurette.
     
    - Dix piastres!
     
    - Ben oui. Il
faut que je m'achète de la pâte à dent, des lames de rasoir, un morceau de cuir
et du fil, expliqua Gérard avec une certaine impatience.
     
    Laurette
s'immobilisa soudain au milieu du couloir, l'air particulièrement embêtée.
Depuis un an, les religieuses avaient encouragé leurs patients à choisir une
activité
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    productive pour
occuper leurs trop nombreux loisirs.
     
    Comme beaucoup
d'entre eux, Gérard Morin avait choisi de créer des articles en cuir repoussé
comme des étuis à chapelet, des porte-monnaie et des couvre-livres. Cependant,
il fallait tout de même payer le matériel.
     
    - Maudit que tu
tombes mal! s'exclama-t-elle d'une voix étouffée. Où est-ce que tu veux que je
trouve dix piastres presque à