Le retour
prunier.
- Whow! prends
tes pilules pour les nerfs, la Morin, s'écria sa collègue à la figure chevaline
en tentant désespérément de faire bonne figure devant les femmes qui
assistaient à la scène. Je t'ai juste dit de regarder ce que tu faisais!
- Toi, ma maudite
vache, t'es mieux de te tenir loin de moi! la mit en garde Laurette dont
l'envie de la frapper était évidente. La prochaine fois que tu vas m'appeler
"la grosse", je vais t'arranger ta grande face laide, moi, ajouta-t-elle.
Lucienne et
Dorothée tirèrent leur amie vers l'arrière et eurent toutes les peines du monde
à lui faire lâcher prise. L'autre, le visage blanc de peur, s'ébroua en faisant
un effort pour retrouver les restes de sa dignité. Elle prit soin de s'éloigner
de quelques pieds avant de laisser tomber en prenant les spectateurs à témoin:
- Elle est
complètement folle! À sa place, j'irais me faire soigner!
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- L'enfant de
chienne! rugit Laurette, en esquissant le
geste de lui
sauter dessus.
Dorothée et
Lucienne l'agrippèrent solidement et la forcèrent à s'asseoir.
- Ça va faire, la
Sauvé! lui ordonna Lucienne. Arrête d'écoeurer le monde à matin!
Sur ce, elle lui
tourna carrément le dos pour s'occuper de Laurette à qui Dorothée parlait
doucement pour l'aider à retrouver son calme.
- Occupe-toi pas
d'elle, chuchota-t-elle à son amie.
Tu vois ben
qu'elle essaye juste de te faire sacrer dehors par Gendron.
- Une de ces
fois, je vais la poigner dehors et elle va en manger toute une, promit Laurette
sur un ton menaçant.
- En tout cas,
fais-lui pas le plaisir de te mettre dans le trouble pour ses beaux yeux, la
supplia Dorothée.
Laurette retrouva
peu à peu son calme et ne tourna pas une seule fois la tête vers le fond de la
pièce où Madeleine Sauvé et ses quelques copines s'étaient regroupées en
attendant la sonnerie annonçant le début de la journée.
- Il reste quinze
minutes avant de commencer, chuchota Laurette à ses deux amies. Pensez-vous que
j'ai le temps de passer au bureau du personnel?
- Dis-moi pas
qu'ils ont fait une erreur dans ta dernière paye? lui demanda Lucienne.
- Non. Je veux
juste leur demander quelque chose, répondit-elle, refusant de révéler qu'elle
allait quémander.
- Fais ben
attention, la mit en garde Dorothée. Si tu demandes de changer de poste, ils
peuvent t'envoyer au département des Social Tea ou des biscuits Village.
Il paraît que là,
c'est pas mal moins le fun qu'avec nous autres.
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- Inquiète-toi
pas pour ça, la rassura Laurette en se levant. Tu sais ben que je te laisserai
pas toute seule avec la face laide de Madeleine Sauvé.
Laurette quitta
précipitamment la salle et se dirigea vers le bureau du personnel. Elle demanda
à parler au directeur, Etienne Boudreau, un homme imposant à l'air sévère
qu'elle n'avait croisé qu'à deux ou trois reprises depuis qu'elle travaillait à
la biscuiterie.
- Je vais voir
s'il peut vous recevoir, dit sa secrétaire en allant frapper à la porte du
bureau de son patron.
Elle disparut
dans la pièce voisine et revint moins d'une minute plus tard en lui faisant
signe d'entrer.
Intimidée,
Laurette pénétra dans le bureau du directeur.
- Fermez la
porte, madame, lui ordonna ce dernier, sans lever la tête du document qu'il
était en train de lire.
Laurette
obtempéra et s'approcha du bureau.
- Bon. Le travail
commence dans dix minutes, lui dit l'homme en jetant un bref coup d'oeil à sa
montre. Qu'est-ce que je peux faire pour vous? ajouta-t-il sans l'inviter à
s'asseoir.
Laurette ne pouvait
évidemment pas lui dire que son mari était tuberculeux. Cela aurait été le
meilleur moyen de perdre son emploi.
- Mon mari est
hospitalisé depuis longtemps et j'ai cinq enfants à nourrir, dit-elle au
directeur du personnel.
- Je comprends.
- Là, ça fait
trois ans que je travaille chez Viau. Est-ce que vous pensez que vous pourriez
me donner une petite augmentation? J'arrive plus pantoute.
- Combien
gagnez-vous de l'heure, madame?
- Quatre-vingts
cennes, monsieur.
- Savez-vous que
c'est un bon salaire pour une femme, laissa tomber Etienne Boudreau. Vous
trouverez pas mieux dans aucune compagnie à Montréal.
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- Peut-être,
reconnut-elle, mais vous pourriez pas faire un petit effort pour m'aider.
- Si je faisais
ça, madame, mon bureau serait plein
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