Le retour
du matin au soir et j'arrêterais pas de
donner des augmentations à tout le monde... Mais si vous trouvez mieux
ailleurs, je vous encourage à partir et je vous souhaite bonne chance,
conclut-il d'une voix cassante.
- Merci,
monsieur, dit sèchement Laurette. Je vais voir, ajouta-t-elle pour sauver la
face.
Elle retourna
lentement vers la salle des employés en murmurant pour elle-même:
- L'espèce de
baveux! Pas de saint danger qu'il m'aurait donné une cenne d'augmentation. Il
sait ben que j'ai pas le choix, que je suis obligée de travailler ici.
La sonnerie
annonçant le début de la journée de travail lui fît accélérer le pas, mais elle
remâcha sa rancoeur toute la journée. Il n'aurait pas fallu que Madeleine Sauvé
l'approche de trop près...
Laurette
descendit péniblement du tramway au coin de Fullum et Notre-Dame, comme elle le
faisait pratiquement tous les soirs de la semaine. Elle avait mal aux jambes à
force d'être demeurée toute la journée debout à entasser des boîtes de Whippet
dans des boîtes de carton. Elle n'avait qu'une hâte: s'asseoir enfin après
avoir retiré ses souliers. Elle jeta à peine un coup d'oeil au petit parc
Bellerive, de l'autre côté de la rue. Les érables dont les branches s'ornaient
déjà de jeunes feuilles vert tendre ne lui arrachèrent pas le moindre sourire.
Elle remarqua surtout deux vagabonds étendus sur des bancs, probablement en
train de cuver l'alcool qu'ils avaient ingurgité.
- M'man!
s'entendit-elle appelée au moment où elle allait se mettre en marche vers la
rue Emmett.
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Laurette sursauta
et tourna vivement la tête pour découvrir Carole derrière elle, sur le
trottoir.
- Qu'est-ce que
tu fais sur la rue Notre-Dame, toi?
lui
demanda-t-elle, mécontente. Je t'ai déjà dit que je voulais pas te voir traîner
dehors après l'école.
- Je le sais,
m'man. Je viens juste d'arriver. Je vous attendais.
- C'est nouveau,
ça! Pourquoi?
- Je voulais vous
avertir qu'on a de la visite, dit l'adolescente en se mettant en marche aux
côtés de sa mère.
- De la visite?
Qui ça? demanda sa mère en s'arrêtant brusquement au milieu du trottoir.
- Mémère Morin,
répondit Carole sans manifester trop d'enthousiasme.
- Bonyeu! C'est
pas vrai! s'exclama Laurette. Ah ben ça, c'est le bout! Il manquait plus
qu'elle pour achever le plat! Depuis quand elle est arrivée?
- Je le sais pas,
m'man. Je lui ai pas demandé. Tout ce que je sais, c'est qu'elle était assise
sur le balcon en arrière quand je suis arrivée de l'école.
- Tu l'as laissée
toute seule dans la maison?
- Non. Gilles est
arrivé de l'école et je viens de voir Richard au coin de la rue.
Déjà, sa mère ne
l'écoutait plus.
- Dis-moi pas
qu'on va être poignes avec elle sur les bras pour souper, gémit Laurette,
catastrophée. On va faire des spaghettis et se débarrasser d'elle de bonne
heure, ajouta-t-elle plus pour elle-même que pour sa fille. A soir, je suis pas
d'humeur à l'endurer ben longtemps.
Il fallait
reconnaître que Laurette n'était jamais d'humeur à tolérer bien longtemps la présence
de sa belle-
mère à ses côtés.
Moins elle la voyait, mieux c'était.
En vérité, elle
reconnaissait volontiers qu'elle n'avait jamais pu "sentir" la grande
femme distinguée au chignon
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gris impeccable
et à la tenue un peu raide qu'était Lucille Morin. La septuagénaire très collet
monté avait toujours eu un don spécial pour critiquer tout ce que sa bru
faisait ou disait. Elle ne se cachait même pas pour lui faire sentir qu'elle la
trouvait vulgaire et mal dégrossie. Sa fille Colombe et elle ne s'étaient
jamais gênées pour mettre en évidence son "manque de classe", comme
elles le disaient entre elles.
Il y eut un bref
silence entre la mère et la fille, le temps de franchir une vingtaine de pieds
sur la rue Fullum. Carole reprit la parole d'une voix hésitante.
- Pour moi, elle
est venue pour plus longtemps que ça, m'man, annonça-t-elle à sa mère.
- Pourquoi tu dis
ça?
- Parce qu'elle
est arrivée avec une valise.
- Avec une
valise! Ah non! C'est pas vrai, calvaire!
jura Laurette en
s'immobilisant à nouveau. Mais qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu pour mériter
ça? ajouta-t-elle, folle de rage, en se remettant en marche.
Sa fille ne dit
plus rien jusqu'à leur arrivée devant la porte de l'appartement, cinq
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