Le retour
minutes
plus tard. Elle vit sa mère prendre une profonde inspiration avant de pousser
la porte et de s'engager d'un pas résolu dans l'étroit couloir qui conduisait à
la cuisine. A leur entrée dans la pièce,.la mère et la fille découvrirent la
vieille femme en train de se bercer tranquillement dans la chaise berçante de
Gérard, comme si elle était chez elle.
- Bonsoir, madame
Morin, dit Laurette en s'efforçant de mettre une joyeuse animation dans sa
voix.
- Bonsoir, ma
fille. Je viens d'enlever les pommes de terre sur le poêle. Elles étaient
cuites.
- Les garçons
vous ont laissée toute seule? demanda Laurette, étonnée de ne voir aucun de ses
fils dans la pièce.
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- Votre plus
vieux est dans sa chambre. Gilles est dans le hangar. L'autre est parti en face
s'acheter de l'essence à briquet.
- Ah bon!
- Vous finissez
de travailler pas mal tard, lui fit remarquer la vieille dame en l'examinant de
ses petits yeux noirs retranchés derrière des lunettes à fine monture d'acier.
C'est vrai que
vous avez l'air pas mal fatiguée.
-- Les journées
d'ouvrage sont longues, madame Morin. C'est rendu que je me couche avant neuf
heures la plupart des soirs tellement je suis épuisée, mentit-elle en se
laissant tomber sur une chaise après avoir allumé une cigarette. J'ai même pas
la force de rien faire dans la maison durant la semaine. Je dois tout faire la
fin de semaine. Même là, les enfants ont beau m'aider le plus qu'ils peuvent
dans la maison, j'ai pas le temps de souffler, même la fin de semaine. Ça fait
une éternité que je suis pas allée voir mes frères et que je les ai pas reçus.
Laurette donnait
toutes ces explications dans le but évident de faire comprendre à sa visiteuse
qu'elle n'avait pas le temps de recevoir quelqu'un durant les fins de semaine,
encore moins durant la semaine. Sa belle-mère l'écouta sans l'interrompre en
hochant la tête.
Au même moment,
Richard entra dans la cuisine en vérifiant du bout des doigts si son
"coq" était bien en place. Il adressa un regard peu chaleureux à sa
grand-
mère à qui il n'avait
jamais pardonné d'avoir ridiculisé ses grandes oreilles quelques années plus
tôt en conseillant à sa mère de lui faire subir une intervention chirurgicale
pour corriger ce défaut.
- C'est bien pour
ça que je suis là, Laurette, répondit Lucille Morin, sans accorder le moindre
regard à son petit-fils qui venait de filer vers sa chambre à coucher. J'ai
téléphoné à Gérard avant-hier pour prendre de ses
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nouvelles. Il m'a
dit que vous aviez l'air très fatiguée quand vous êtes allée le voir dimanche
passé. Quand Rosaire et Colombe m'ont appris hier qu'ils allaient passer trois
jours chez des amis, dans le Maine, j'ai décidé de venir vous donner un coup de
main à tenir maison.
- Mais..., voulut
protester sa bru.
- Mais non,
remerciez-moi pas. Ça me fait plaisir de venir vous donner un coup de main.
- Je vous jure
que c'est vraiment pas nécessaire, madame Morin, se défendit Laurette. J'avais
l'air fatiguée parce qu'on était en plein ménage de printemps, mentit-
elle encore une
fois. J'ai ben assez de l'aide des enfants.
- Bien non, bien
non, s'entêta la vieille dame. Vous êtes toute pâle, ma fille. À vous voir, ça
me surprendrait pas que vous couviez quelque chose.
Laurette rendit
les armes, en proie à une rage impuissante.
Elle voyait bien
qu'il ne servait à rien de s'entêter.
Sa belle-mère
était bien décidée à rester. Elle aurait étranglé la septuagénaire avec
plaisir. Comme si elle n'avait pas assez d'ennuis! Elle était maintenant
obligée d'endurer la mère de son mari jusqu'au dimanche suivant. Elle en venait
à regretter de ne pas travailler chez Viau durant la fin de semaine. Elle fît
toutefois un effort surhumain pour contrôler sa colère et se leva.
- Carole, laisse
faire les patates et fais cuire des spaghettis. On va manger ça pour souper,
ordonna-t-elle à sa fille avant d'aller s'enfermer dans les toilettes.
Dès qu'elle eut
refermé la porte de la pièce minuscule, elle se pencha vers le miroir pour
scruter son visage avec inquiétude.
- La vieille
maudite folle! jura-t-elle entre ses dents.
Je suis pas plus
pâle que d'habitude. C'est sûr que le bon Dieu l'a mise sur la terre juste pour
me faire gagner mon ciel.
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Quand elle revint
dans la cuisine, elle trouva sa belle-
mère
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