Le Sac et la cendre
Arapoff ?
— Oui.
— N’avez-vous pas une sœur dans la Croix-Rouge ?
— Si, Nina.
— Nina Constantinovna Mayoroff ?
— Oui.
— Vous l’avez vue ?
— Comment l’aurais-je vue ?
— Vous êtes bien passé par Nasielsk avant d’échouer ici ?
— Oui, mais ils n’ont pu prendre que trois blessés et je n’étais pas du nombre.
— Pourquoi n’avez-vous pas dit que votre sœur était infirmière à Nasielsk ?
— Elle est infirmière à Nasielsk ?
— Vous ne le saviez pas ?
La femme claqua des doigts et son visage se contracta dans une expression bourrue.
— C’est trop bête ! grommela-t-elle. J’ai été moi-même infirmière à Nasielsk avant d’être détachée ici. Je connais très bien votre sœur. Elle m’a parlé de vous…
Un flot de joie ranima Nicolas, et il se dressa sur les coudes :
— Est-ce loin d’ici, Nasielsk ?
— Ne vous énervez pas, dit l’infirmière, les hôpitaux de Plonsk et de Nasielsk sont distants de trente-six verstes environ. Il n’est pas question de vous transporter là-bas. Mais je vais m’occuper de vous. Nous verrons ce que nous pouvons faire.
— Merci, murmura Nicolas.
Et il se recoucha sur la civière, car ses forces l’abandonnaient.
— Alors, qu’attendez-vous pour le déshabiller ? demanda le docteur.
Nicolas sentit les doigts de l’infirmière qui déboutonnaient son uniforme, sa chemise, touchaient sa peau nue. Il eut honte. Il dit :
— Je vais le faire moi-même.
Mais, lorsqu’il voulut bouger ses mains, elles lui parurent faibles et inertes comme des gants bourrés de coton. Des conversations incohérentes se poursuivaient au-dessus de lui, dans cette région enviable où régnaient les hommes debout :
— C’est la hanche.
— Il faut le laver immédiatement.
— L’eau chaude, s’il vous plaît.
— Pas de signes gangreneux.
— Xénia, avez-vous préparé le thé pour les blessés ?
— Comme toujours, Avdotieff est en retard pour les cercueils.
Le contact de l’eau tiède sur son corps procura à Nicolas une impression de douleur luxueuse, de confortable agonie. Il balbutia :
— Vous direz, pour Nina…
— Oui… oui…
Quand Nicolas revint à lui, il gisait sur une litière de paille. Autour de lui, étaient couchés d’autres blessés aux visages inconnus. Il faisait grand jour. Des oiseaux pépiaient derrière les fenêtres, dont quelques vitres brisées avaient été remplacées par des panneaux de carton. Un gros poêle en fonte chauffait la pièce. L’infirmière en veste de cuir s’approcha de Nicolas et le salua d’un sourire. Elle tenait à la main un gobelet en fer-blanc et des biscuits anglais.
— Buvez un peu de thé, dit-elle.
Et elle appliqua le bord du gobelet contre les lèvres de Nicolas. Il sentit un liquide chaud et parfumé qui coulait dans sa gorge.
— Doucement, doucement, dit l’infirmière. L’opération s’est très bien passée. Dans trois jours, un train de la Croix-Rouge vous emmènera vers l’arrière. Ah ! si nous n’avions que des blessés comme vous !
— Et Nina ? demanda Nicolas d’une voix mince.
— J’ai parlé au médecin en chef. Il s’est intéressé à votre cas. Dès que vous irez mieux, nous vous transporterons en civière jusqu’au bureau de l’hôpital. De là, vous téléphonerez à votre sœur…
Les yeux de Nicolas se mouillèrent de larmes.
— Quand pourrai-je téléphoner ?
— Cela dépend de vous. Demain, peut-être…
Le lendemain, des brancardiers portèrent Nicolas jusqu’au bureau du docteur et l’installèrent sur un canapé, à proximité du téléphone. Il fallut près d’une demi-heure pour obtenir la communication. Nicolas s’impatientait :
— Vous auriez dû lui téléphoner hier pour la prévenir !
— Mais c’est ce que j’ai fait, dit l’infirmière. Elle est au courant.
Soudain, une sonnerie grêle vibra dans la pièce. La peau de Nicolas frémit, comme saisie de froid. Une anxiété agréable accéléra les battements de son cœur. L’infirmière avait décroché l’écouteur et parlait en articulant chaque mot avec affectation :
— Oui… Ici, Plonsk… Je voudrais sœur Nina… Pour son frère… Oui… Elle est prévenue… Mais non, pas le docteur Siféroff… Sœur Nina… Elle est à côté ?… Ah ! c’est vous, Nina… Je vous passe votre
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