Le tombeau d'Alexandre
qu’il a fallu si longtemps pour construire une tombe adéquate ? Ou que Ptolémée a repoussé le transfert délibérément pour offrir à son successeur une grande fête nationale ? Tout ça, c’est des conneries ! Ptolémée ne pouvait peut-être pas prendre le risque d’exposer la dépouille dans une cité grecque parce que ce n’était pas celle d’Alexandre. Il a peut-être attendu que tout ceux qui avaient connu Alexandre soient morts ou trop gâteux pour se souvenir de son visage.
— Tu rêves...
— Tu crois ? Pourtant, c’est toi qui m’as montré la peinture.
— Quelle peinture ?
— Celle de l’antichambre de la tombe macédonienne, qui représente Apelle de Cos avec Akylos. Pourquoi le portraitiste personnel d’Alexandre aurait-il perdu son temps avec un simple porte-bouclier ? Peut-être Akylos avait-t-il l’habitude de poser pour Alexandre. Nous n’avons jamais retrouvé la dépouille de l’empereur à Alexandrie. Et sur la mosaïque, on voit qu’Akylos était petit, mince et roux. Maintenant, décris-moi Alexandre...
— Non, murmura Gaëlle. C’est impossible.
Mais elle fut parcourue d’un frisson.
— Que se passe-t-il ? demanda Knox.
— C’est juste que... cela m’a toujours paru bizarre que Kalonymos enterre les porte-bouclier dans le quartier royal, quasiment sous les yeux de Ptolémée. C’était du suicide.
— Mais ?
— Mais Kalonymos a écrit dans le message crypté qu’il avait juré de réunir les trente-trois dans la mort comme ils avaient été unis dans la vie. Si tu dis vrai, si Akylos a vraiment été enterré à Alexandrie à la place d’Alexandre, cela explique que les porte-bouclier aient été inhumés dans la nécropole, juste au-dessous de lui. C’est de cette façon que Kalonymos les a tous réunis.
Knox appuya sur l’accélérateur et la jeep rugit sur le sable.
II
Subjuguée, Elena regarda Mohammed retirer le sable du marbre et enfiler les dents de la benne entre le haut de la plaque et le linteau de calcaire. Il poussa en avant et la dalle de marbre tomba. Elena tressaillit, épouvantée, en tant qu’archéologue, par un vandalisme aussi cavalier, mais le sable était mou et la roche ne se brisa pas. Elle était plus déterminée que jamais à poursuivre sa vendetta mais mourait d’envie, elle aussi, de voir ce qui se trouvait à l’intérieur. À tous points de vue, elle était à l’apogée de sa carrière.
Tous les membres de l’équipe prirent une torche et éclairèrent le trou noir. Un escalier presque entièrement enseveli sous le sable descendait jusqu’à une galerie grossièrement taillée, suffisamment haute et large pour laisser passer deux hommes côte à côte. Elena suivit Nicolas et Philippe Dragoumis, qui s’enfoncèrent dans la colline. Au bout d’une cinquantaine de pas, ils débouchèrent dans une grande pièce surmontée d’un haut plafond. Elle était vide. Il n’y avait que de la poussière et des détritus. Un vaisseau brisé ; une amphore en terre cuite ; un manche de dague ; les ossements et les plumes d’un oiseau, qui s’était sans doute trouvé emprisonné ici des siècles auparavant. Seuls les murs les récompensèrent de tous les efforts qu’ils avaient faits pour trouver cet endroit. Des scènes de la vie d’Alexandre, semblables aux étapes du chemin de croix, avaient été sculptées en haut relief dans le grès et ornées de véritables artefacts.
Dans la première scène, sur la gauche, Alexandre était représenté enfant dans son berceau, en train d’étrangler des serpents comme Hercule – visiblement, il y avait eu de véritables serpents entre ses mains, bien que le temps les ait complètement désintégrés pour ne laisser que des peaux translucides, minces comme une pelure d’oignon. Dans la deuxième, il montait Bucéphale face au soleil pour mieux le dompter. Dans la troisième, il entretenait une conversation passionnée avec d’autres jeunes gens et un vieillard, peut-être Aristote en personne, qui tenait ce qui avait été jadis un livre ou un rouleau avant de s’effriter et de s’éparpiller comme des cendres sur le sol. Dans la quatrième, sur un cheval cabré, il appelait ses hommes à se battre. Dans la cinquième, il enfonçait un javelot à manche de bois dans la poitrine d’un soldat perse brandissant une hache en bronze au-dessus de sa tête. Dans la sixième, il était confronté au célèbre nœud gordien prétendument impossible
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