Le Troisième Reich, T1
Canaris, chef de la section
Abwehr de l'O.K.W., avait reçu, d'Hitler lui-même, l'ordre de fournir à Himmler
et à Heydrich 150 tenues et quelques armes légères polonaises.
Ceci lui parut suspect et, le 17 août, il demanda des éclaircissements
au général Keitel. Avec sa mollesse habituelle, le chef de l'O.K.W. lui
répondit qu'il ne croyait guère aux « opérations de ce genre », mais il déclara
à l'amiral qu' « il n'y avait rien à faire », puisque l'ordre en avait été
donné par Hitler lui-même (8). Malgré sa répugnance, Canaris se soumit aux
instructions et livra les uniformes à Heydrich.
Le chef du S.D. choisit pour exécuter la mission un jeune
vétéran des services secrets S.S., Alfred Helmut Naujocks. Ce n'était pas la
première tâche de cette espèce que l'on confiait à cet étrange personnage, et
ce ne devait pas être la dernière. Au début de mars 1939, peu avant l'invasion
allemande de la Tchécoslovaquie, Naujocks, à l'instigation de Heydrich, s'était
déjà chargé d'introduire en Slovaquie des explosifs, qui servirent, ainsi qu'il
en témoigna lui-même, à « créer des incidents ».
Alfred Naujocks était un produit typique de la Gestapo, une
sorte de gangster intellectuel. Il avait étudié la mécanique à l'Université de
Kiel, où il avait fait ses premières armes contre les antinazis. Il lui arriva
même de se faire aplatir le nez par les communistes. Il s'était inscrit aux
S.S. en 1931 et avait été attaché au S.D. dès sa création en 1931. Comme tant
d'autres jeunes gens de l'entourage de Heydrich, il s'adonna à ce qui passait
chez les S.S. pour des activités intellectuelles — notamment l' « histoire » et
la « philosophie » — tout en se transformant rapidement en un jeune « dur » (à
l'instar de Skorzeny) susceptible de mener à bien les moins ragoûtants des
plans dressés par Himmler et par Heydrich [193] .
Le 19 octobre 1944, Naujocks s'engagea dans l'armée américaine
et fit, un an plus tard, un grand nombre de déclarations sous serment au procès
de Nuremberg, fournissant ainsi aux historiens le récit de l' « incident » dont
Hitler se servit pour justifier son action contre la Pologne.
Vers le 10 août, le chef du S.D., Heydrich, m'ordonna
personnellement de simuler une attaque contre la station-radio de Gleiwitz,
près de la frontière polonaise (déclaration signée par Naujocks à Nuremberg, le
20 novembre 1945), en faisant croire que le groupe d'agresseurs était formé de
Polonais. « Il nous faut la preuve matérielle que ces attaques sont l'œuvre de
Polonais, aussi bien vis-à-vis de la presse étrangère que pour la propagande
intérieure », me dit Heydrich.
J'avais reçu l'instruction de m'emparer de la station-radio
et de m'y maintenir assez longtemps pour permettre à un Allemand parlant
polonais qu'on mettrait à ma disposition de lancer une proclamation sur les
ondes. Heydrich me dit aussi qu'il s'attendait à ce que l'Allemagne attaque la
Pologne dans les quelques jours à venir.
Je me rendis à Gleiwitz et y demeurai quatorze jours en
attente... Entre le 25 et le 31 août, j'allai voir Heinrich Mueller, le chef de
la Gestapo, qui se trouvait dans les environs, à Oppeln. Devant moi, il examina
avec un nommé Mehlhorn [194] les plans d'un autre incident de frontière destiné à simuler une action des
soldats polonais contre les troupes allemandes.
Mueller déclara qu'il disposait de 12 à 13 condamnés de
droit commun qu'on devait habiller en soldats polonais et dont on laisserait
les cadavres sur le terrain pour faire croire qu'ils avaient été tués au cours
de l'action. Un médecin à la solde de Heydrich leur administrerait
préalablement des injections mortelles, en même temps que l'on s'arrangerait
pour qu'ils portent des traces de balles de fusil. Après l'incident, des
journalistes et d'autres personnes seraient amenés sur les lieux.
Mueller m'avertit qu'il avait reçu de Heydrich l'ordre de
me fournir, pour l'opération de Gleiwitz, l'un de ces condamnés qui portaient
le nom convenu de « Conserves en boîte (9) ».
Tandis que, sur l'ordre d'Hitler, Heydrich, Himmler et Mueller
s'apprêtaient ainsi à utiliser les « Conserves en boîte » pour fabriquer une
excuse à l'agression allemande contre là Pologne, le Führer accomplissait son
premier pas décisif et déployait ses forces armées en vue d'une guerre générale
éventuelle : ordre fut donné à vingt et un sous-marins de rallier
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