Le Troisième Reich, T2
Et, derrière
cette avant-garde, un cercle plus vaste remontant jusqu’au roi complotait pour
se débarrasser de lui.
Les chefs fascistes rebelles, menés par Dino Grandi, Giuseppe
Bottai et Ciano, demandèrent la convocation du Grand Conseil fasciste, qui ne s’était
pas réuni depuis décembre 1939 et n’avait guère été jusque-là qu’un
organisme-tampon dans la main du Duce. Ce conseil se tint dans la nuit du 24 au
25 juillet 1943, et pour la première fois de sa carrière de dictateur, Mussolini
fut l’objet de violentes critiques pour avoir mené le pays au désastre. Par 19
voix contre 8, on vota une résolution demandant le retour à une monarchie
constitutionnelle, appuyée sur un parlement démocratique. Elle réclamait aussi
que le commandement des forces armées fût totalement remis au roi.
A l’exception peut-être de Grandi, les rebelles fascistes ne
semblent pas avoir eu la moindre idée d’aller plus loin. Mais il existait un
second complot, plus important, comprenant certains généraux et le roi. Mussolini
lui-même crut apparemment qu’il avait calmé la tempête. Après tout, c’était le
Duce qui prenait les décisions en Italie, et non un vote majoritaire du Grand
Conseil. Il fut donc très surpris quand, le soir du 25 juillet, il fut
convoqué au Palais par le roi, sommairement relevé de ses fonctions et conduit,
sous mandat d’arrêt, en ambulance, jusqu’à un poste de police [221] .
Ainsi tomba ignominieusement le César des temps modernes, ce
fanfaron du XXe siècle qui avait su profiter de la confusion et du
désespoir de l’époque, mais qui, sous une façade clinquante, n’était guère fait
que de vent. Il n’était pas inintelligent. Il avait beaucoup lu, surtout des
ouvrages d’Histoire, et il croyait en avoir compris la leçon, mais, en tant que
dictateur, il avait commis l’erreur fatale de vouloir faire une grande
puissance impériale et militaire d’un pays qui manquait des ressources
industrielles nécessaires, et dont la population, à l’opposé de celle de l’Allemagne,
était trop civilisée, trop sophistiquée et trop positive à la fois pour se
laisser attirer par de fausses ambitions. Au contraire des Allemands, jamais le
peuple italien n’avait été fasciste au fond de son cœur. Il avait simplement
supporté ce régime comme un mauvais moment à passer. D’ailleurs, il semble que,
vers la fin, Mussolini s’en soit rendu compte.
Mais, comme tous les dictateurs, il s’était laissé emporter par
son appétit de pouvoir, et, ainsi qu’il arrive inévitablement, cet appétit l’avait
corrompu, corrodant son esprit et empoisonnant son jugement. Cela devait l’amener
à commettre sa seconde et fatale erreur, celle de lier sa fortune et celle de l’Italie
au Troisième Reich. Quand le glas se mit à sonner pour l’Allemagne d’Hitler, il
se mit à sonner également pour l’Italie de Mussolini et, lorsque vint l’été
1943, le dictateur italien l’entendit. Mais il ne pouvait plus rien tenter pour
échapper à son destin. Il était le prisonnier d’Hitler.
Pas un seul coup de fusil ne fut tiré pour le sauver – pas même
par la Milice fasciste. Pas une seule voix ne s’éleva pour le défendre. Personne
ne parut se soucier de la manière humiliante dont il était parti, chassé par le
roi et conduit en prison dans une ambulance. Au contraire, chacun se réjouit de
sa chute. Le Fascisme lui-même s’effondra aussi aisément que son fondateur. Le
maréchal Pietro Badoglio forma un gouvernement neutre composé de généraux et de
fonctionnaires, le Parti fasciste fut dissous, les fascistes occupant des
postes clefs furent relevés de leurs fonctions et les antifascistes libérés de
prison.
On peut imaginer la réaction d’Hitler quand il apprit à son
quartier général la chute de Mussolini – mais cet effort n’est même pas
nécessaire, car de volumineux rapports confidentiels sont là pour nous l’apprendre.
Le choc fut brutal. Même pour un nazi, certains parallèles étaient des plus
évidents, et la pensée que Rome eût ainsi créé un terrible précédent inquiéta
grandement le docteur Gœbbels, convoqué d’urgence au quartier général de Rastenburg le 26 juillet. Pour commencer, le ministre de la
Propagande, ainsi que nous le révèle son journal, se demanda comment il allait
expliquer le renvoi de Mussolini au peuple allemand. Il décida que, provisoirement,
le mieux était de lui dire que le Duce avait
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