Le Troisième Reich, T2
sortait pas du bureau du
ministre dans les vingt minutes. Puis, revolver à la main, lui et son adjoint
pénétrèrent dans le bureau pour arrêter le plus haut dignitaire nazi présent à
Berlin ce jour-là.
Entre autres talents qui lui avaient permis d’accéder à un poste
élevé dans le Troisième Reich, Gœbbels possédait le génie
de savoir faire face aux situations critiques – et celle-ci était la plus
critique et la plus précaire de sa vie orageuse. Il rappela au jeune commandant
le serment de fidélité qu’il avait prêté au commandant en chef. Remer rétorqua
sèchement qu’Hitler était mort. Gœbbels lui répondit que le Führer était tout ce qu’il y avait de plus vivant – il venait tout juste de
parler avec lui au téléphone. Il pouvait le prouver. Là-dessus, il saisit le
téléphone et demanda une communication urgente avec le commandant en chef, à Rastenburg. Là encore, l’erreur commise par les conspirateurs en
ne s’emparant pas du réseau téléphonique de Berlin, ou du moins en ne coupant
pas ses fils, allait conduire au désastre [270] .
En moins d’une minute ou deux, Hitler était au bout du fil. Gœbbels tendit l’appareil à Remer. Le commandant
reconnaissait-il sa voix ? s’informa le Seigneur de la Guerre. Qui, en
Allemagne, pouvait ne pas reconnaître cette voix rauque, entendue des centaines
de fois à la radio ? Au surplus, Remer l’avait entendue directement
quelques semaines auparavant, lorsqu’il avait reçu sa décoration des mains
mêmes du Führer.
Le commandant, dit-on, se mit au garde-à-vous. Hitler lui
ordonna de réprimer la révolte et d’obéir aux seuls ordres de Gœbbels, d’Himmler,
qui, dit-il, venait d’être nommé commandant en chef de l’armée de l’intérieur
et avait pris l’avion pour Berlin, et du général Reinecke, qui
se trouvait dans la capitale et avait reçu l’ordre de prendre le commandement
de toutes les troupes de la ville. Le Führer promut
également Remer au grade de colonel.
Cela suffisait à Remer. Il venait de recevoir des ordres émanant
de haut et il s’empressa de les exécuter avec une énergie qui manquait à la Bendlerstrasse. Il retira son bataillon de la Wilhelmstrasse, occupa la Kommandantur de Unter den Linden, envoya des patrouilles arrêter les
unités qui pourraient être en marche vers la capitale et il se chargea lui-même
de découvrir le quartier général des conjurés, afin d’arrêter leurs chefs.
Pourquoi les généraux et les colonels rebelles confièrent-ils un
rôle aussi important à Remer ? Pourquoi ne le remplacèrent-ils pas au
dernier moment par un officier de cœur et d’âme avec la conspiration ? Pourquoi
au moins n’envoyèrent-ils pas un officier sûr avec le régiment de garde pour
veiller à ce que Remer exécutât les ordres ? C’est là l’une des nombreuses
énigmes du 20 juillet. Mais pourquoi aussi ne firent-ils pas arrêter
sur-le-champ Gœbbels, la personnalité nazie la plus importante et la plus
dangereuse ?
Deux policiers du comte von Helldorf auraient
pu le faire en deux minutes, car le ministre de la Propagande n’était
absolument pas gardé. Pourquoi les conjurés ne s’emparèrent-ils pas du quartier
général de la Gestapo dans la Prinz-Albrechtstrasse, ne supprimèrent-ils pas la
police secrète, ne libérèrent-ils pas bon nombre de leurs camarades, dont Leber,
qui s’y trouvait incarcéré ? Le quartier général de la Gestapo n’était
pour ainsi dire pas gardé, il en était de même du bureau central de la R. S. H.
A., centre nerveux de la S. D. et de la S. S., qui aurait dû être parmi les
premiers points occupés. Il est impossible de répondre à ces questions.
Le quartier général de la Bendlerstrasse ignora pendant un
certain temps la brusque volte-face de Remer. Apparemment, dans la majorité des
cas, les rebelles n’eurent connaissance de ce qui se passait dans Berlin que
lorsqu’il fut trop tard. Aujourd’hui encore, il est difficile de démêler les
événements, car les rapports des témoins fourmillent d’éléments contradictoires.
Où étaient les blindés, où étaient les troupes stationnées aux alentours de
Berlin ?
Peu après dix-huit heures trente, un bref communiqué transmis
par le Deutschlandsender , émetteur si puissant qu’on pouvait l’entendre
en n’importe quel point d’Europe, et annonçant qu’Hitler venait d’échapper à un
attentat, frappait durement les hommes de la Bendlerstrasse ;
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