Le Voleur de vent
même ceux que la
terreur tenaillait au point qu’ils demeuraient silencieux, tous, donc, eurent
semblables agissements. On les vit ainsi la queue basse, roulant des yeux
craintifs, allant du bout des pattes comme s’ils avançaient sur braises
ardentes. Gros et petits, féroces ou affectueux, ils ne formèrent bientôt plus
qu’une meute sous la conduite du plus vieux d’entre eux et celui-là, borgne, auquel
il manquait une oreille, n’avait que trois pattes. En telle procession, ils
ressemblaient à rats quittant cave inondée mais quant à eux, c’est le village
qu’ils quittaient, par la rue principale, et pour n’y plus jamais revenir.
Hommes et femmes, les enfants, même, cessèrent
qui leurs conversations, qui leurs jeux. En très grande fascination, on
regardait ce troupeau de chiens aller au petit trot en attitude si décidée, regards
obstinément fixés vers l’horizon, sourds aux appels de leurs maîtres, faisant
taire entre eux toute querelle et semblant les multiples corps d’un seul et
même esprit.
Brusquement, les chats disparurent à leur tour,
cherchant leur salut en ces cachettes que les félins connaissent pour y
toujours prévoir retraite possible.
Enfin, en les cages, oiseaux pris de folie
donnèrent du bec contre les barreaux, saignant cruellement et jusqu’au sang les
doigts qui s’immisçaient pour tenter de les calmer.
Les villageois éprouvèrent d’abord grand
malaise.
Ceux des logis sortirent en la rue, ceux de la
rue se regardaient sans comprendre mais pourtant se glissait en eux une terreur
sans nom car beaucoup pensèrent qu’arrivait la fin du monde et que des démons
grimaçants allaient surgir des entrailles de la terre, incubes pour les mâles, et
succubes pour les femelles.
Il avait gelé fort en la nuit et l’on savait
que sorciers provoquent l’arrivée du gel en battant avec baguette l’urine qu’ils
ont répandue au clair de lune.
Bientôt, tout le monde se trouva dehors, très
vieux et malades mêlés à marmaille et petits marmousets pour une fois
silencieux.
Puis, prêtant l’oreille, on entendit bruit
lointain et terrifiant qui se rapprochait à grande vitesse. On plissa les
paupières pour y mieux voir n’omettant point, pour certains, de se rapprocher
des autres.
Hormis le roulement plus perceptible d’instant
en instant, jamais le village ne fut davantage silencieux car l’outil ne
frappait plus le métal du côté de la fonderie toujours si bruyante.
Le curé parut en haut des marches de l’église
et bien qu’il fût de haute stature ayant, dit-on, manié l’épée autant que le
crucifix au temps où il fut ligueur, sa silhouette massive ne rassura point, et
moins encore son visage creusé par les vicissitudes d’une terreur dont on ne l’imaginait
pas se trouver quelque jour victime. Et que celui qu’on pensait le plus proche
de Dieu fut celui qui en cet instant en semblait le plus éloigné, et le plus
abandonné, pareille vision serra le ventre à nombreux habitants.
Et enfin, « ils » parurent…
Ils parurent, et d’aspect si effroyable que la
peur paralysa les jambes, brouilla les regards et vrilla les oreilles en
amplifiant le tapage que faisaient les monstres par le galop de leurs chevaux.
Celui qui montait cheval blême, celui-là
sortait de la tombe à moins que ce ne fût des marnières où, en certaines
régions de très ancien droit coutumier, on jette vifs moines ayant commis grand
crime qui n’a point de pardon ici-bas.
Capuchon rejeté sur ses maigres épaules, il
présentait visage qu’on crut dévoré par la pourriture du tombeau car il
manquait nez, joue, lèvres et un œil à l’orbite creuse et rougie, sembla-t-il, tandis
qu’on voyait les os de sa mâchoire et les dents sur celle-ci.
Il tenait lance en une main, épée dans l’autre
et ses cruels éperons entraient en les flancs saignants du cheval blême.
Quatre autres suivaient le moine, pareillement
armés et lancés au grand galop mais ceux-là ne montraient point crâne
demi-pourri car ils avaient têtes de loup et toutes dents dehors.
Ils ne parlaient point, ne grognaient pas, semblaient
sans nécessité de respiration mais tuaient à tour de bras, à la lance aussi
bien qu’à l’épée ou au sabre et telle était leur force que, lorsque lame
épaisse s’abattait sur un crâne, elle fendait son homme jusqu’au cou.
En la population, on ne résistait pas, ne
fuyait pas même, attendant tel bétail résigné le couteau du
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