Les Filles De Caleb
n’osèrent pas accepter d’abord, craignant de manquer d’expérience pour la finition. Emilie leur demanda de ne coudre que les peaux. Elle pouvait faire la doublure. Ils acceptèrent et promirent à Emilie qu’elle aurait son manteau avant la fin du mois de janvier.
Le temps d’arrêt des chantiers fila comme l’éclair. Ovila avait à peine repris son rythme quotidien que déjà Emilie refaisait ses valises, y déposant la pipe qu’elle lui avait offerte. Le culot était déjà noirci. Ils avaient encore tous les deux le cœur en chamaille.
«Avec un peu de chance, l’année prochaine j’vas me trouver quelque chose pour pas être obligé de repartir. »
Émilie acquiesça, espérant, elle aussi, qu’ils n’auraient plus à être séparés.
Ovila embrassa Émilie une dernière fois, monta à côté de son père et regarda longuement sa femme, qui tenait la poignée du traîneau rouge dans lequel Rose dormait en faisant une petite vapeur blanche dans l’air frais et piquant.
29.
Rose ne parvenait pas encore à s’asseoir. Emilie avait bien essayé de lui montrer, l’installant dans une chaise, bien entourée de coussins. Elle aurait voulu pouvoir écrire à Ovila que Rose avait réussi cet exploit. Elle écrivit plutôt, à la fin mars, que Rose dormait encore presque tout le temps, qu’elle mangeait bien sa pâtée, qu’elle avait percé deux autres dents et qu’elle souriait assez souvent. Elle ajouta toutefois qu’elle lui trouvait l’air songeur. Inquiet presque. Puis elle parla de son manteau de fourrure qui lui était encore fort utile. Elle se garda bien de lui dire qu’il y avait eu des peaux en surplus et qu’elle en avait eu suffisamment pour lui faire faire un manteau court. Jamais, pensait-elle, il ne voudrait porter un manteau de fourrure. Alors elle avait demandé aux Marchildon de tourner la peau. De mettre le poil à l’intérieur, sauf pour le collet. Les Marchildon avaient accepté, sachant que pour un homme, la confection demandait moins de petits détails.
Émilie lui parla aussi des dernières nouvelles du village, insistant sur le fait qu’une rumeur voulait que le conseil municipal songeât à faire construire un aqueduc. Ovila comprit, à la lecture, qu’elle lui suggérait d’essayer de trouver du travail sur ce petit chantier. Il se promit de le faire, espérant que cette histoire d’aqueduc était autre chose qu’une promesse électorale. Pour la première fois, Émilie avait trouvé que l’hiver s’était effacé très rapidement. Elle avait passé beaucoup de temps avec Rosée, à préparer le coffre de cèdre de celle- ci. Rosée leur avait annoncé qu’elle allait se marier avec Arthur Veillette au mois de septembre. Émilie et elle avaient donc consacré la majorité de leurs soirées à coudre, tricoter, tisser. Le trousseau de Rosée était plus sévère que celui d’Émilie. Rosée ne semblait pas avoir son audace. Émilie n’avait fait aucun commentaire.
Félicité était tellement énervée à l’idée de marier l’aînée de ses deux filles, qu’elle était convaincue que le temps s’était mis à bégayer, butant deux et trois fois sur la même journée.
«C’est pas pareil quand on marie un garçon. On sait qu’on va avoir une fille de plus. Mais quand on marie sa fille, on sait qu’on la perd pour de bon. C’est sa belle-famille qui gagne au change. »
Rosée avait bien vu que sa belle-sœur se languissait. Elle semblait ne penser qu’à Ovila, ne parler que de lui, ne vivoter ses journées que dans l’attente de son retour.
«Tu es drôle, Émilie. Quand on passe beaucoup de temps avec toi, on se rend compte que c’est vrai que tu aimes pas ça quand mon frère est parti. »
Émilie n’avait rien dit, se contentant d’écouter ce que lui racontait Rosée. Celle-ci la regarda et rougit.
«Des fois je te trouve bien romantique. Je me demande si c’est Rose que tu aimes ou si tu l’aimes parce que c’est la fille d’Ovila. »
Émilie lui avait répondu qu’elle aimait Rose parce qu’elle l’aimait, tout simplement. Elle avait pourtant ajouté qu’elle s’amusait de retrouver chez sa fille quelques traits d’Ovila.
«Je me suis toujours promis, Rosée, que je marierais un bel homme parce que je voulais avoir des beaux enfants. Quand j’ai connu ton frère, je l’ai trouvé beau.»
Elle s’était tue quelques instants pour imaginer chacun des traits de son mari.
«Je l’ai dans la peau ton
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