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Les fontaines de sang

Les fontaines de sang

Titel: Les fontaines de sang Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’attendrissait ainsi. Nul ne broncha. Tristan se sentait empêtré dans son corps, dans ses muscles davantage que dans son armure. Sa volonté s’était dissoute. Il refusait d’imaginer les deux cents êtres à sa semblance dans ces murs où les premières fumées s’insinuaient ; les toux, les yeux qui piquaient ; la frayeur qui se propageait. Une belle journée. De l’autre côté de la cité, le clocher de l’église brillait au soleil. Ici, la fumée expulsait son haleine âcre et mortifère sous une porte rougie au feu et dont l’étoile de clous dorés devenait noire. Des corneilles tournaient dans le ciel et leurs cris exprimaient on ne savait quelle désolation. Parmi les routiers, on jabotait ferme. Devant eux, et non moins attentif, Bourbon regardait les flammes avec une espèce d’extase et sans doute jouissait-il de savoir que des « parents » des meurtriers de la reine Blanche allaient périr. Bagerant avait ôté son bassinet. Tristan en fit autant, imité par son beau-père.
    –  Nous devrions nous retirer.
    – Non, mon gendre. Nous en subirions l’opprobre : on nous traiterait de couards… ou de Juifs.
    Haletants et vergogneux, ils entendirent les premiers pleurs, les premiers cris : les femmes et les enfants redoutaient la géhenne. Bientôt, les plaintes couvrirez les crépitements des flammes.
    – Ils chantent leur messe, dit Jean de Bourbon ! impassible. Oyez ce terribouris 346  !
    La porte flambait, répandant à l’intérieur du bâtiment des bouffées de fumée délétère. L’esprit de Tristan se réduisait à un fil tendu à craquer. Partir loin, très loin ; se sentir redevenir un homme. Il semblait qu’une odeur de sueur s’exsudait des fissures des murs, plus écœurante encore que celle du sang frais qui stagnait dans les rues de la cité conquise. Un petit nuage noir s’exhala au-dessus de la tour comme une espèce de souffle. Il devait y avoir une trappe au sommet or, celui qui l’avait poussée avait suscité un appel d’air, et le feu qui semblait se communiquer de pierre en pierre redoubla maintenant d’ardeur. Il fallait lutter contre cette nausée, refuser d’entendre ces cris épouvantables et les rires, au-dehors, qui les accompagnaient.
    –  Les hommes, dit Guesclin, si c’étaient des hommes, devraient étrangler leurs femmes et leurs enfants pour leur épargner la male mort. Je me souviendrai de cette crémation… Et vous aussi, frère Béranger !… J’en entretiendrai le roi Charles.
    – Et moi l’évêque de Coutances !
    – Tu n’y reviendras point, grommela Ogier d’ Argouges entre ses dents. Tu ne le mérites point, Satan !
    Bagerant recula.
    – Tiens, tu es là, Sang-Bouillant !… Sortir, pour eux, c’est périr aussi… Je n’aime pas ça. La guerre se fait avec des armes.
    Guesclin se détourna.
    – C’est à mon intention que tu parles si fort ?… Eh bien, je vais te dire : la guerre se fait comme on peut, comme on veut. Ces malandrins dont la clameur t’indispose sont d’immondes bêtes malfaisantes : ils ont crucifié Jésus !
    Tristan suait d’horreur aux cris qu’il entendait. Il sentit ses narines s’emplir d’une puanteur infecte : celle sa propre nausée. Son beau-père, pâle et résigné, résistait aussi péniblement que lui à l’envie de vomir et fuir. Bagerant eût-il reculé encore devant ses compères et la Fleur de la Chevalerie de France qu’ils eussent reculé avec lui. Mais le routier se refusait à déchoir : il demeurait immobile, les yeux mi-clos, les sourcils froncés par une sorte d’obstination ou d’incertitude.
    La tour brûlait sans que personne n’en sortît. On entendait des cris, des pleurs, de longs gémissements lors que les flammes, gonflées, décuplées par le vent, cédaient la place à la fumée. Bientôt, pierres et corps, le bâtiment ne fut plus qu’une grosse torche vivante, hurlante et crépitante que Guesclin contemplait d’un œil vif, la mine fière, croisant ses bras, frottant ses mains et dansant sur le sol rougi au feu une espèce de carole.
    –  Ils expient !
    – Quoi, Bertrand ? demanda Orriz.
    – Tudieu ! la mort du Christ.
    Les yeux de Tristan le piquaient. Il les sentait à la fois secs et humides. Il ne voyait rien à travers la pourpre du grand rideau flamboyant, rien sinon des lacérations dorées et deux cavernes béantes, tremblantes comme une eau frissonnante, et qui peut-être avaient été des fenêtres, de l’autre

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