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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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dans les ténèbres avant que de se dissoudre, vaincus, dans la terre.
    — Allons, mes gars, du nerf !
    — Ça manque point, dit Tinchebraye.
    Sa voix débordait de haine. Une haine d’ivrogne – presque – envers tous ces Goddons qui l’avaient effrayé.
    — Ça commence à me manquer à moi, dit Joubert.
    Et presque aussitôt repenti :
    — Mais dit-on pas que la faim vient en mangeant et la forcennerie en taillant de la chair en pièces ?
    Il semblait ainsi s’encourager lui-même.

III
    Embrasée par les torches et les foyers anglais, la nuit, au-delà des murailles, semblait rose et légère. En deçà, elle encrait et pesait bon poids : seuls quelques pharillons suspendus aux carrefours dissipaient maigrement les ténèbres. Et les manants ayant depuis longtemps posé sur leur frayeur les verrous de leur porte et les barres de leurs contrevents, les maisons paraissaient mortes.
    — Est-ce loin ? demanda Joubert en relâchant un peu son épaule.
    — Sûrement pas… Blandine te soignera. Courage !
    — Le courage, dit Tinchebraye, nous fait moins défaut que la confiance. Comment sortirons-nous ?… Bourbon le sait, lui !
    — Crois-tu que j’aurais dû lui demander son aide ?
    — Nullement : je vous sais capable.
    Ici, la cité semblait dormir d’un sommeil quiet, mais ce n’était qu’une illusion : au-dessus d’un éboulement dû à quelque jet de perrière, des floches de fumée dégageaient des odeurs de poussière et de feu. Sur le pavement encombré de débris de tuiles et de moellons, un reflet de lune s’effilochait.
    — Ça empunaise : il y a sûrement des corps sous ces gravois.
    — Il se peut, Joubert… Oyez, compagnons : on vient ! Des pas nombreux… Rangeons-nous contre ce mur… ou ce qu’il en reste !
    Une compagnie passa, ombres rousses en marche vers les murailles, écrasant sous leurs semelles des nacrures de verre arrachées aux fenêtres. Portés par des sergents, deux flambeaux allumaient des fleurs d’or aux tranchants des corsesques et des guisarmes.
    — Venez, compagnons, dit Ogier quand la troupe fut passée. Je reconnais ces lieux.
    Ils suivirent la cohorte où nul ne parlait puis s’engagèrent dans une voie plus large. On avait réuni des barils, des seaux et des brocs autour d’un puits en prévision d’autres embrasements. Il y avait même, entassées près d’un arbre décapité, quelques claies pour le dégagement des morts et des blessés.
    — Les flammes et les grosses pierres sont terribles, dit Joubert. C’est pourtant de l’acier que les manants devraient songer à se garantir.
    — Ils croient que Dieu les défendra, dit Ogier en montrant du doigt le seuil d’une église. Si confiant que je sois en Lui, je crains parfois qu’il ne soit anglais.
    Agenouillés, des femmes, des enfants et des vieillards priaient. Des plaintes, des sanglots traversaient leurs murmures. Cette petite foule semblait confite en dévotion, mais l’angoisse rongeait les cœurs et les entrailles. Qu’adviendrait-il demain ? Vivrait-on comme avant  ? Ou bien qui périrait ?
    — Pourquoi n’entrent-ils pas ?
    — La crainte, Joubert, que la nef ne s’écroule. Les engins ont craché pierres et feu grégeois ; les logis de ce quartier ont souffert, et les Goddons peuvent recommencer…
    — Une église, messire, me paraît le plus sûr des asiles.
    — Non, Tinchebraye. L’armée d’Édouard a ruiné, tu le sais bien, toutes celles qu’elle trouvait sur son chemin, du Cotentin au Ponthieu, sans épargner non plus les autres saints lieux… Si dix ou vingt Goddons pénètrent dans Poitiers en quelque endroit que ce soit…
    Ogier s’interrompit, imaginant sans peine le torrent d’hommes forcenés jaillissant dans l’enceinte à la suite de ceux qui leur auraient ouvert la brèche. Les jeunes s’exciteraient, tuant les mâles et profitant pêle-mêle de leurs femmes et de leurs filles, parfois même de leurs garçons ; les vieux repus de viols et d’occisions s’acharneraient au pillage. Çà et là, de hautes flammes insatiables ajouteraient leur danse lugubre à la fête.
    Les halles apparurent, immense bête noire à l’échine écailleuse givrée de poudre lunaire, et figée sur ses courtes pattes de chêne. Sous son ventre, un chien jappa puis s’enfuit, invisible. Les maisons du pourtour répercutèrent son cri, tandis qu’Ogier, allongeant le pas, désignait l’hôtel des Berland.
    — C’est là, dit-il,

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