Les Roses De La Vie
révérence, dès qu’elle fut à ses pieds,
son vertugadin orné de fleurs s’évasant en gracieuse corolle autour de sa
taille de guêpe, je devrais dire de sablier, pour ce que le haut, bien que moins
volumineux que le bas, était tout aussi rondi. Puis se relevant et se penchant
avec une émerveillable flexibilité, elle bailla à la duchesse deux baisers qui,
plutôt que se poser sur son beau visage, l’effleurèrent, la princesse veillant
à gâter ni le rouge de ses lèvres, ni la céruse de la joue maternelle.
Après quoi, elle se releva et fit au duc régnant une
demi-révérence si impertinente en sa désinvolture que je m’avisai que la guerre
qui avait fait rage entre eux depuis l’enfance n’était pas et ne serait
peut-être jamais discontinuée. Cela fait, elle adressa à Claude et à moi-même
un sourire joueur, muguetant et féminissime qui n’était pas tout à fait celui
qu’on eût attendu d’une sœur. Ayant ainsi ranimé l’admiration que nous lui
portions, elle vint se placer entre nous deux, comme pour se remparer contre
Charles, sachant bien que, même lorsqu’elle aurait tort, elle pourrait compter,
en tout prédicament, sur notre indéfectible alliance.
— Ma fille, dit la duchesse de Guise, qu’en est-il de
votre humeur ou de votre santé ? Vous me paraissez un peu lasse.
— C’est sans doute quelque amant qui lui a fait peine,
dit Charles avec humeur.
— Monsieur mon frère, dit la princesse de Conti, le menton
haut et le sourcil levé, mes amants ne me font pas peine. C’est moi qui leur en
fais.
— Mais pourquoi « mes amants » ? dit
Charles. Un seul ne vous suffit donc pas ?
— Mon frère, dit-elle avec un sourire plus dangereux
qu’un coup de griffe, est-ce bien à vous de me donner ce conseil ? Si vous
ne jouiez aux cartes qu’une fois l’an, vous n’auriez pas dissipé le bien de
votre épouse.
— Il s’en faut qu’il soit dissipé, dit Charles avec le
dernier dédain.
— Cela est vrai, concéda la princesse. On ne compte
plus les biens de votre femme.
Cette concession était un piège et Charles ne manqua pas d’y
choir.
— La duchesse de Guise est, en effet, bien garnie,
dit-il avec une bien imprudente satisfaction.
— Et c’est bien pourquoi vous l’avez épousée, dit la
princesse de Conti. Une veuve ! N’est-ce pas étonnant à votre âge
d’épouser une veuve ! C’est merveille comme la pécune fait passer sur
tout, même sur un pucelage défunt…
— Louise-Marguerite ! dit la duchesse d’une voix
forte. Cessez ce chamaillis avec votre frère sur l’heure, ou je quitte la
place.
— Vous avez raison, ma mère, dit promptement la
princesse. D’ores en avant, je ne parlerai plus qu’à vous. Et pour commencer,
je vais répondre à votre question. Je suis bien lasse, en effet. J’ai passé la
nuit au chevet de la petite reine, avec Madame de Luynes et Madame de
Motteville. La pauvre Anne était dans les angoisses.
— Serait-elle si proche de son terme ? dit Madame
de Guise.
— Mais non, pas du tout. Où prenez-vous cela, ma
mère ? Elle n’en est encore qu’au début.
— Par tous les saints ! s’écria Charles avec la
dernière hargne, sommes-nous céans pour parler de la reine ou du cardinal de
Guise ?
— Je parle de qui je veux, dit la princesse sans lui
faire l’aumône d’un regard.
Un silence suivit cette déclaration et une sorte de trêve
tacite s’établit alors entre les belligérants. J’ai assisté à une bonne
vingtaine de scènes de la même farine entre Charles et sa sœur et la bataille
se déroulait toujours de la même manière. Charles sortait très imprudemment de
ses lignes pour partir à l’assaut contre Louise-Marguerite. Et, invariablement,
il était rejeté par elle à son point de départ, l’étonnant me paraissant être
qu’il recommençât toujours, ses échecs ne lui apprenant rien.
— Madame ma mère, dit Claude au bout d’un moment, je
gage que vous aimeriez savoir de moi comment a éclaté cette grande querelle
entre le cardinal de Guise et le duc de Nevers ? Or, je peux assurément
dire comment elle se déroula. J’étais présent.
— La grand merci, mon Claude, dit Madame de Guise. Mais
avant de savoir le comment, je voudrais savoir le pourquoi.
— Il s’agit, je crois, d’une querelle au sujet de
quelque prieuré, dit Charles, mais, de toute façon, Nevers ne peut qu’avoir
tort en prenant parti contre l’un d’entre
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