L'hérétique
chercher refuge et assistance au monastère. Avec leurs
quatre charrettes à bras chargées de coffres et de ballots, ils avaient l’air
de fugitifs. Trop faibles pour affronter la boue et la fatigue, trois
vieillards étaient assis sur les chariots. Flairant encore quelques prises
faciles, des hommes de Bessières éperonnèrent leurs chevaux en direction de ces
malheureux, mais Vexille les rattrapa et leur barra la route. Apercevant
l’armure laquée du chevalier noir et le fringant éalé de son écu, les voyageurs
s’agenouillèrent dans la boue.
— Où allez-vous ? leur demanda l’Harlequin.
L’un des hommes ôta son chapeau et courba la tête pour
répondre :
— Au monastère, Seigneur.
— Et d’où venez-vous ?
L’homme expliqua qu’ils venaient de la vallée de la Garonne,
plus à l’est. Cela faisait deux jours qu’ils étaient partis. Une nouvelle
question permit de découvrir qu’ils étaient quatre artisans avec leurs
familles : un charpentier, un sellier, un charron et un maçon, tous
originaires de la même ville.
— Est-ce qu’il y a des troubles, là-bas ?
Vexille voulait savoir. Il ne se sentait pas directement
concerné, parce que Thomas n’avait sans doute pas pris la direction du levant.
Mais tout ce qui pouvait sortir de l’ordinaire l’intéressait.
— Il y a la peste, Seigneur. Les gens meurent.
— Il y a toujours la peste, répondit Vexille,
dédaigneusement.
— Pas comme celle-là, Seigneur, précisa l’homme,
humblement.
Il expliqua que des centaines, peut-être des milliers
d’hommes et de femmes se mouraient et que dès les premiers assauts de
l’épidémie les familles qui l’accompagnaient avaient décidé de fuir. D’autres
en faisaient autant, prétendit-il, mais la plupart avaient préféré tenter de
gagner Toulouse au nord, alors que leurs quatre familles, tous amis, avaient
opté pour les montagnes au sud, qui leur semblaient plus sûres.
— Vous auriez dû rester là-bas et trouver refuge dans
une église, considéra l’Harlequin.
— Les églises sont pleines de morts, Monseigneur,
répondit son interlocuteur.
Sous le coup de l’impatience, Vexille tourna bride. Les
épidémies autour de la Garonne n’étaient pas son affaire. Et le fait que le
petit peuple panique n’avait rien d’inhabituel. Il cria aux hommes de Charles
Bessières de laisser les fugitifs tranquilles. Et Bessières justement se mit à
gronder qu’ils étaient en train de perdre leur temps.
— Votre Anglais s’est envolé, ricana-t-il.
Vexille perçut la moquerie, mais décida de l’ignorer. Il
resta silencieux un bon moment, puis il fit l’honneur à monsieur Charles de lui
répondre avec le plus grand sérieux :
— Vous avez raison, mais envolé où ?
Le frère du cardinal fut déconcerté par le ton aimable de
l’homme en noir. Il s’appuya sur le pommeau de sa selle et regarda le monastère
en réfléchissant à la question.
— Il est venu ici, finit-il par dire. Et il est parti.
On peut donc imaginer qu’il a trouvé ce qu’il cherchait.
Vexille secoua négativement la tête.
— Il nous a fuis. C’est pour ça qu’il est parti.
— Alors pourquoi ne l’avons-nous pas vu ?
s’impatienta Bessières en retrouvant le ton agressif qui lui était coutumier.
La pluie dégoulinait du large bord de métal de la salade
qu’il avait adoptée pour garder la tête au sec.
— Il est parti, c’est une certitude, et s’il a trouvé
quelque chose il l’a emporté. Où iriez-vous si vous étiez à sa place ?
— Chez moi, répondit l’Harlequin.
— C’est loin. Et sa femme est blessée. Si j’étais lui,
j’irais trouver des amis… et j’irais vite les trouver !
Vexille dévisagea Charles Bessières. Le frère du cardinal
souriait.
Pourquoi se montre-t-il soudain si inhabituellement
obligeant et utile ? se demanda le cousin de Thomas.
— Des amis, dites-vous ?
— À Castillon d’Arbizon, explicita l’autre.
— Ils l’ont chassé ! protesta Vexille.
— C’est ce qu’ils ont fait, admit Bessières, mais quel
choix a-t-il maintenant ?
En vérité, il ignorait totalement si l’Anglais avait pu
retourner à Castillon d’Arbizon, mais c’était l’hypothèse qui lui semblait la
plus plausible. Or, depuis ses fouilles dans le château d’Astarac, il avait
décidé qu’il devait débusquer l’archer rapidement. Ce n’est qu’alors, quand il
serait certain qu’il n’avait pas trouvé
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