L'Héritage des Templiers
silence avant de s’approcher du cercueil.
« Notre très haut et vénéré maître a quitté ce monde après avoir administré notre ordre avec sagesse et équité, dans le respect de la règle, pendant vingt-huit années. Il a désormais sa place dans les chroniques de l’ordre.
— Je conteste ce point », s’écria l’un des frères en dévoilant son visage.
Le sénéchal frissonna. La règle autorisait les frères à marquer leur désaccord. Il s’attendait à devoir livrer bataille au moment du chapitre, mais pas pendant les funérailles du maître. Le sénéchal se tourna vers le contestataire.
C’était Raymond de Rochefort.
Personnage râblé au visage sans expression et dont la personnalité inspirait la méfiance, il appartenait à la confrérie depuis trente ans et avait atteint le grade de maréchal, ce qui le plaçait en troisième position dans la hiérarchie. Au commencement, il y avait plusieurs siècles de cela, le maréchal assurait le commandement militaire des Templiers et les chevaliers obéissaient à ses ordres sur le champ de bataille. Il était aujourd’hui chargé de la sécurité et devait s’assurer que la tranquillité de l’ordre restât inviolée. Il occupait ce poste depuis plus de vingt ans. Il partageait avec les moines qui travaillaient sous sa responsabilité le privilège de pouvoir quitter l’abbaye à son gré ; ils ne rendaient de comptes qu’au maître et le maréchal n’avait jamais caché son mépris pour le défunt.
« Nous vous écoutons, répondit le sénéchal.
— Notre défunt maître a affaibli notre ordre. Il manquait de courage politique. L’heure est venue de prendre une nouvelle direction. »
Les paroles de de Rochefort ne trahissaient pas la moindre émotion et le sénéchal le savait capable de mettre l’éloquence au service de la malhonnêteté. C’était un fanatique. Des hommes comme lui avaient permis à l’ordre de conserver sa puissance pendant des siècles. Pourtant, le maître avait maintes fois souligné qu’ils ne lui étaient plus aussi indispensables aujourd’hui. D’autres contestaient ce point de vue et deux factions étaient nées : l’une se rangeait aux vues de de Rochefort et l’autre à celles du maître. La plupart des frères taisaient leur préférence, comme l’ordre le préconisait. Mais l’interrègne était propice aux débats. La discussion ouverte permettait au groupe de décider dans quelle direction aller.
« Avez-vous d’autres griefs à faire valoir ? s’enquit le sénéchal.
— Mes frères, nous avons trop longtemps été exclus de la prise de décision. Nous n’avons pas été consultés, nos conseils n’ont pas été pris en compte.
— Nous ne sommes pas en démocratie, remarqua le sénéchal.
— Ce n’est pas ce que je souhaite non plus. Mais nous vivons dans une confrérie. Une confrérie fondée sur des besoins et des objectifs communs. Chacun d’entre nous a fait don de sa vie, de ses biens. Nous ne méritons pas d’être ignorés. »
La voix de de Rochefort trahissait son âme calculatrice et son mépris. Le sénéchal remarqua que nul n’osait perturber la solennité du moment et, l’espace d’un instant, il lui sembla que la pureté de ce lieu sacré depuis des siècles avait été profanée. Il eut l’impression d’être entouré d’hommes à l’état d’esprit et aux préoccupations bien différents des siens. Un mot résonnait dans son esprit.
Rébellion.
« Et que proposez-vous ? demanda-t-il.
— Le défunt maître n’est pas digne du respect témoigné à ses prédécesseurs. »
Le sénéchal resta de marbre et posa la question rituelle. « Appelez-vous au vote ?
— Oui. »
Pendant l’interrègne, la règle exigeait qu’un vote ait lieu à chaque fois que la demande en était faite, quel que soit le sujet. En l’absence de maître, le groupe dans son ensemble gouvernait.
« Si vous refusez au maître la place qu’il mérite dans les chroniques de l’ordre, levez la main », ordonna le sénéchal aux frères dont le visage était toujours dissimulé sous leur capuchon.
Certains n’hésitèrent pas, contrairement à d’autres. Conformément à la règle, le sénéchal attendit deux minutes pour les laisser prendre leur décision. Puis il procéda au décompte.
Deux cent quatre-vingt-onze voix.
« Le quota de plus de soixante-dix pour cent est atteint, annonça-t-il en réprimant sa colère. Conformément au vote, il
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