Ma mère la terre - Mon père le ciel
préparés. Elle tendit la feuille à Homme-Qui-Tue, mais il pinça les lèvres et s'adressa à elle à haute voix.
— Il veut d'abord des tranches de poissons frits.
— Dis-lui que j'aurais besoin de mon couteau et que le feu pour faire la cuisine se trouve dehors.
Shuganan traduisit et Homme-Qui-Tue saisit le paquet de poisson et fit signe à Chagak de monter.
Chagak ressentit le vent de la mer sur ses joues comme une caresse. Ce fut aussi un calmant contre ses frayeurs. Elle désigna du doigt un cercle de pierres utilisées pour faire du feu et placées à l'abri du vent sur le côté de l'ulaq afin que les rafales n'attisent pas le feu et provoquent un incendie.
Chagak commença par allumer le feu avec ses silex en les frottant jusqu'à ce qu'une étincelle jaillisse et enflamme l'herbe sèche au centre du foyer. Elle ajouta ensuite des brindilles et enfin du bois sec. Quand le feu fut allumé, elle versa de l'huile sur la pierre de cuisson. Elle était plate et fine, mais il fallut du temps pour la chauffer. Elle la posa sur les quatre pierres noircies qui la maintenaient à bonne distance des flammes et attendit. Accroupi derrière elle, Homme-Qui-Tue lui fit signe de se presser.
— Ce n'est pas assez chaud, dit-elle en étendant la main vers la pierre pour lui faire comprendre ce qu'elle disait.
Il jura, mais Chagak haussa les épaules. Comme si elle était capable de faire chauffer une pierre par un coup de baguette magique. S'il ne l'avait pas attachée et s'il lui avait dit qu'il voulait du poisson frit, elle aurait pu allumer le feu le soir et poser une pierre dessus avec de l'argile et le laisser couver sous la cendre. Le matin la pierre aurait été chaude et le poisson aurait cuit plus vite.
Mais quel homme pouvait prévoir tout cela? En désignant le poisson et en faisant le geste de découper, elle lui demanda un couteau. Pendant un moment il resta immobile comme s'il ne comprenait pas. Puis il sortit le couteau de femme de Chagak d'un étui fixé à sa taille et le lui tendit. En même temps, il sortit son propre couteau et se mit à l'aiguiser avec ostentation. Elle feignit de ne rien remarquer et découpa le poisson en petits morceaux qu'elle roula dans l'huile.
Homme-Qui-Tue dit quelque chose sur le mode interrogatif et Chagak crut comprendre qu'il se livrait à une réflexion sur la valeur des femmes et des couteaux. Elle continua à feindre de ne pas avoir entendu. Elle posa le poisson sur la pierre de cuisson et regarda la vapeur s'élever à sa surface.
Shuganan se hâta de gagner la pièce où se trouvait la couche de Chagak. Il se demanda dans combien de temps Homme-Qui-Tue allait revenir. Il y avait bien longtemps, Shuganan avait caché deux couteaux dans sa chambre, l'un dans le mur de l'ulaq, l'autre enterré dans le sol. Maintenant Homme-Qui-Tue utilisait cette pièce.
Pendant que celui-ci déliait les mains de Chagak ce matin, Shuganan avait caché trois couteaux dans sa nouvelle chambre, un petit couteau à lame recourbée qu'il utilisait autrefois pour sculpter, mais à force de la limer la lame s'était déformée. Shuganan le cacha dans un interstice entre le mur et le sol.
Il cacha également un couteau de chasse à longue lame dans une niche du mur qu'il combla ensuite avec de la terre et aplatit pour le rendre invisible. Shuganan plaça le troisième couteau sur le sol dans un endroit facile à détecter et le recouvrit seulement avec de l'herbe et son matelas. Il espérait que si Homme-Qui-Tue décidait de se livrer à une fouille il serait satisfait en découvrant ce couteau et n'en chercherait pas d'autres.
Shuganan avait hésité avant de porter des couteaux dans la pièce de Chagak. Qu'arriverait-il si Homme-Qui-Tue les trouvait là ? Que ferait-il à la jeune fille? Mais si Chagak était toujours attachée, comment pourrait-elle se sauver? Il valait mieux en courir le risque et lui donner une chance de s'enfuir. Il avait retrouvé le couteau de sa femme qu'il avait toujours conservé dans un de ses paniers finement tressés. Ce panier était rempli d'objets lui ayant appartenu que Shuganan n'avait pas enterrés avec elle et qu'il ne pouvait se décider à jeter : des peaux qu'elle avait tannées, des aiguilles, une pierre de cuisson, des carpettes, des plats faits dans du bois sec et un oreiller de plumes d'oie. Et tout au fond son couteau de femme.
Shuganan le porta dans la chambre de Chagak. Il mesura trois mains depuis le rideau et utilisa son propre
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