Madame de Montespan
dans les bras de sa capiteuse maîtresse.
Le Roi s’en va en guerre donc. Et avec lui huit millions d’argent comptant vont quitter Paris, soit 6 800 000 livres pour ses troupes et le reste pour sa maison. Ce qui, note un chroniqueur, « a mis la ville dans une si grande disette d’argent qu’on en trouve nulle part ! » L’argent ! Ce nerf de la guerre qui deviendra bientôt hypersensible et que Colbert sera contraint de soigner sans anesthésie. À la fin de cette année, par exemple, le déficit dépassera les huit millions. Il faudra donc user d’expédients. Interdire, par exemple, tous passements d’or et d’argent sur les habits des officiers de troupe, avant d’augmenter les impôts et d’en créer de nouveaux, tel le papier timbré – formules obligatoires – pour tous les actes judiciaires et civils.
Dans ses Mémoires, Charles Perrault nous conte que « jusqu’à la guerre de Hollande, Colbert entrait dans son
cabinet de travail d’un air content, en se frottant les mains de joie et de confiance, mais qu’à partir du commencement des hostilités il changea d’allures et de caractère ; qu’il n’abordait plus le travail qu’avec chagrin et même en soupirant, et que, de facile et aisé qu’il était, il devint difficile et difficultueux ; qu’il aurait même eu la tentation de renoncer au pouvoir ; que le Roi lui demandant un fonds de soixante millions par an à l’extraordinaire des guerres, il s’en montra effrayé... » Le Roi ayant ajouté que, s’il ne se chargeait pas d’y suffire, un autre homme était tout prêt à l’entreprendre, il demeura assez longtemps chez lui, remuant ses papiers, combinant des comptes, sans trouver de solution. Il fallut un ordre du Roi pour le ramener à la cour, et les instances de sa famille pour le décider à passer par-dessus ses répugnances...
S’il est bien affûté comme celui de Perrault, un petit regard sur un grand homme peut en dire très long.
Donc Colbert est embarrassé. La guerre de Hollande est un gouffre. Même s’il est victorieux ici ou là, dans telle ou telle bataille, Louis XIV ne la gagnera pas. Il s’enlisera : au sens propre tant qu’au sens figuré. La faute aux inondations qui déferlent sur le Bas-Pays. Les Hollandais ont en effet ouvert les écluses. En juillet (1672) Amsterdam n’est plus qu’une île. Le Roi-Soleil est arrêté par l’eau !
Il est un homme de mouvement, la guerre reste sur ses positions, dans ces conditions il préfère se retirer, laisser agir ses généraux et rentrer à Saint-Germain-en-Laye (le 1 er août) pour y faire la connaissance de ses deux nouveaux rejetons, Anjou et Vexin, et y retrouver sa maîtresse : qui ne manquera pas de se rappeler à son souvenir : « Il me faudrait, réclama-t-elle pour son appartement de Saint-Germain, de nouvelles parures, de nouvelles galanteries ; il me faudrait aussi des oiseaux et des fleurs, beaucoup de fleurs... »
Pour son château de Clagny, elle se déclara satisfaite « du jet d’eau qu’on venait d’établir au milieu des jardins devant le balcon de sa chambre », mais elle insista pour que l’eau soit canalisée jusqu’en ses cuisines et elle réclama de l’argent de poche... beaucoup d’argent de poche !
Auprès d’Athénaïs, Louis XIV était comme ensorcelé.
Un jour d’octobre, par exemple, alors que le petit duc d’Anjou est au plus mal et vit son cinquième mois dans la plus grande des langueurs, le Roi qui se distrait chez Mme de Montespan aperçoit la Reine dans le parc. Il ouvre la fenêtre et lui lance :
— Nous partirons demain pour le voir !
C’est tout juste s’il n’a pas ajouté : aujourd’hui, je suis trop occupé !
Cette anecdote qui nous révèle un comportement assez odieux nous est rapportée par le curieux Saint-Maurice.
... Et le 4 novembre mourait Louis-François d’Anjou.
« Le peuple murmurait beaucoup de la vie que son Roi menait avec les dames de la faveur et disait hautement que c’était un châtiment de Dieu. »
Mais comment savoir si la main de Dieu s’est abattue ou non sur la progéniture du Roi-Soleil ? Ce que l’on sait, c’est que ce fut l’hécatombe. À la fin de l’an 1672, en effet, des six enfants de Louis et de Marie-Thérèse, il n’en existait plus qu’un seul, l’aîné, le Dauphin Louis. Il est bien évident que ces disparitions en série et la hantise de n’avoir plus d’héritier légitime pèseront lourd dans la
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