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Mon frère le vent

Mon frère le vent

Titel: Mon frère le vent Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sue Harrison
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naissance ? Ça, non.
    Dyenen émit un petit rire sarcastique. Le Corbeau était un sot. Tout le monde pouvait constater que les bébés n'étaient pas les siens. Souriceau avait beaucoup de la femme, mais l'autre ne ressemblait à aucun des deux. Assurément, ces garçons n'étaient même pas frères. Ils avaient environ six à huit lunes d'écart. Dyenen n'avait pas été béni de fils, mais il avait eu beaucoup de filles. Garçons ou filles, les bébés grandissaient à peu près de la même façon — s'asseoir, se tenir debout, ramper, marcher. Souriceau — Takha — rampait et c'était un garçon costaud, que tout homme serait heureux d'appeler son fils. L'enfant endormi, celui qu'on appelait Shuku, marchait. Les semelles de ses jambières étaient usées et il y avait un trou à un orteil.
    Le vieil homme rit de nouveau. N'empêche — une bonne épouse — une qui sculptait — et deux garçons. Ce n'était pas un troc catastrophique, surtout si l'on considérait ce qu'il céderait à Saghani en échange.
    Les incantations étaient sacrées, mais il ne donnerait pas les plus sacrées. Un homme devait les trouver par lui-même, par la recherche, la prière et le jeûne.
    — D'ailleurs, chuchota Dyenen, les choses de l'âme ne s'échangent pas contre des sacs de viande séchée, d'huile de phoque ou contre des parkas brodés. Quand un homme parvient finalement en ce lieu où il respecte les esprits, les marchandises ont bien peu d'importance dans sa vie.
    Il donnerait donc à Saghani quelques incantations, un chant qu'il avait lui-même acheté à un autre chaman, quelques connaissances sur les animaux et le secret des voix. Ces quelques choses valaient une épouse forte, qui sculptait et pourrait lui donner des fils.
    81
    Le premier jour, le Corbeau apprit les chants et les incantations. Le deuxième jour, il écouta les vieux du village évoquer pour lui les nombreuses connaissances qu'ils avaient acquises sur les animaux au cours des années où ils avaient chassé. Ces deux jours-là, il passa beaucoup de temps à écouter Dyenen dire peu de choses en beaucoup de mots. Mais le troisième jour fut le jour qu'attendait le Corbeau. Ce jour-là, Dyenen lui enseignerait l'appel des voix.
    C'était le matin, pourtant les nuages obscurcissaient le jour. Dans la demeure de Dyenen, même le foyer était incapable d'arracher l'humidité glacée de l'air. Le Corbeau s'emmitoufla bien serré dans son manteau de plumes et n'émit aucune plainte.
    Dyenen était uniquement vêtu d'un pagne et de jambières. Sa poitrine et son ventre étaient blancs comparés à son visage brun et buriné. Il portait pour tout ornement une amulette de peau de poisson décorée avec les plumes blanches et grises d'un colapte doré.
    Dyenen fit signe au Corbeau de s'asseoir près de lui. Celui-ci s'assit.
    — Ferme les yeux.
    Le Corbeau ferma les yeux et, dans le silence, il retint son souffle ; il attendait, écoutait. Alors les voix arrivèrent — douces et fortes, vieilles et jeunes, mâles et femelles. Certaines parlaient une langue, certaines une
    autre, si bien que le Corbeau n'aurait pas été surpris, s'il avait ouvert les yeux, de découvrir une demeure pleine de gens. Mais lorsque Dyenen lui dit de regarder, elle était vide. Pourtant, le Corbeau était sûr d'éprouver la plénitude des esprits se pressant de tous côtés.
    Les murs tremblèrent, une fois, deux fois, puis Dyenen se tourna vers le Corbeau.
    — Ils sont partis.
    Le souffle du Corbeau revint, en petites respirations courtes et rapides. Ses bras tremblaient autant que les murs. Un homme qui détenait le pouvoir d'appeler les esprits pouvait posséder toutes choses sur terre.
    — Ramène-les, chuchota le Corbeau.
    Le vieil homme éclata de rire.
    — Tu ne peux pas ?
    — Je le peux chaque fois que je le veux.
    — Existe-t-il un danger de malédiction ?
    — Seulement si tu le mérites, Saghani.
    — Je n'ai rien fait qui mérite que je sois maudit, rétorqua le Corbeau après réflexion.
    — Saghani, tous les hommes méritent d'être maudits. Tous les hommes ont fait du mal à d'autres hommes. Tous les hommes ont agi avec désinvolture. Tous les hommes ont agi avec égoïsme. Quel homme, lorsqu'il a le ventre vide, a la moindre pensée pour autrui ?
    — Pourquoi est-ce si terrible de vouloir se remplir la panse ? demanda le Corbeau.
    — Saghani, la plupart des hommes ont tant de bouches à nourrir...
    Des mots, encore des mots, pensa le Corbeau en

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