Mon frère le vent
toutes les
femmes apportèrent leurs sacs de clams. Quand le feu mourut, Vieille Oie dégagea les cendres et les femmes posèrent leur sac dans le trou. Panier Moucheté couvrit les clams de couches d'algues humides puis elles s'assirent sur leurs talons, prenant le temps de bavarder et de rire pendant la cuisson.
Kukutux avait mis ses clams avec les autres, mais si elle restait là, elle ne prit aucune part à la conversation. Ses pensées allaient à Waxtal et aux commerçants. Toute cette colère, toutes ces menaces pour un ikyak plein de marchandises de troc. Qu'importaient ces colliers, griffes d'ours et autres jambières en peau de caribou ? L'huile, oui. L'huile était nourriture, chaleur ; mais qu'était un collier comparé à la vie d'un homme ? Un homme devrait-il honorer les choses plus que les gens ? Quelle folie.
Une fois les clams prêts, Kukutux sortit son sac à l'aide d'un bâton fourchu et l'emporta chaud et fumant dans l'ulaq. Hibou et Œuf Moucheté se tenaient près du rondin et se parlaient à voix basse. Kukutux passa devant eux comme s'ils n'étaient pas là.
Le centre de la pièce principale était jonché de paquets, de ventres de viande séchée et d'huile. Deux longues dents de morse étaient posées contre le mur. Avec un soupir, Kukutux se fraya un chemin parmi les marchandises jusqu'à la cache de nourriture. Elle sortit des bols et une peau d'huile. Elle en versa un peu dans chaque, puis les apporta à Hibou et à Œuf Moucheté.
Elle lâcha une pile de clams fumants à ses pieds.
— Où est Waxtal ? demanda-t-elle.
Œuf Moucheté haussa les épaules mais Hibou désigna une des chambres. Kukutux sentit qu'il la suivait des yeux pendant qu'elle portait à manger dans la chambre.
— J'ai de la nourriture.
Le vieil homme ne répondit pas. Un frisson glacé lui serra l'estomac.
— Tu ne l'as pas tué ? dit-elle à Œuf Moucheté pardessus son épaule.
L'homme éclata de rire.
— Si je l'avais tué, il serait dehors à nourrir les oiseaux.
— Ne t'inquiète pas, Kukutux, dit Hibou avec courtoisie. Nous ne l'avons pas tué.
Kukutux écarta le rideau du coude et vit le vieil homme assis, paupières closes, mains croisées sur les genoux.
— J'ai à manger, dit-elle doucement.
L'homme ouvrit lentement les yeux et dit :
— Je ne peux pas. En échange de ma vie, j'ai promis aux esprits de jeûner un jour de plus.
Kukutux lâcha le rideau. Elle s'assit dans un coin reculé de l'ulaq, loin de Hibou, loin d'Œuf Moucheté et se restaura, songeant au vieil homme.
45
Peuple des Rivières
Fleuve Kuskokwim, Alaska
Le lendemain matin, Dyenen attendait le Corbeau. Le vieil homme portait un fin parka en peau de caribou bordé aux manches et au capuchon de fourrure de loup grise et blanche. Des poils d'orignal teintés de rouge étaient cousus en de longues lignes qui se dressaient sur les épaules du parka. Craignant de trahir son admiration, le Corbeau leva les yeux au ciel.
— Soleil, aujourd'hui, remarqua-t-il en pointant sa canne vers le brouillard qui s'étendait lourdement sur la rivière.
Dyenen grogna.
— Je t'ai dit d'apporter la peau de lynx, Saghani.
Le Corbeau ferma vite la bouche sur les mots qui lui
montaient aux lèvres. Dyenen ne lui avait rien dit. Mais il était vieux. Pourquoi espérer qu'il se rappelle ce qu'il avait dit ou pas ? Le Corbeau hocha la tête et retourna dans la demeure qu'il partageait avec les fils de Chasseur de Glace. Les deux hommes dormaient encorî. Oiseau Chante était serré contre son épouse.
Elle est paresseuse, se dit le Corbeau. Elle aurait dû me préparer à manger au lieu de s'attarder dans le lit de son mari.
Renard Blanc dormait à l'autre bout, bras et jambes à l'endroit où la fille avait dormi la veille. La fille était partie, mais si Renard Blanc l'avait bien traitée, elle reviendrait. Le Corbeau sourit. Alors qu'un homme pouvait donner facilement son corps à une femme, jouir d'elle pour une nuit et l'oublier dès le lendemain, la femme, elle, se sentait liée à lui par ce don et revenait presque toujours.
Le Corbeau avait caché le sac de médecine sous son tas de robes de nuit. Il le posa sur son épaule et retourna auprès de Dyenen.
Le soleil était suffisamment haut pour attraper le bord givré des herbes et des saules, et les oiseaux dessinaient des entrelacs entre les demeures du village.
— Bonne journée pour apprendre, s'écria le Corbeau à l'adresse de Dyenen.
Dyenen se contenta de
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