Mon frère le vent
marcher vers la rivière. Vérifiant le chemin du bout de sa canne, il modifia sa course pour suivre la berge, les yeux rivés au sol. Le Corbeau ajusta ses pas à la démarche lente de Dyenen, observant lui aussi le sol, se demandant ce que le vieil homme espérait trouver. Ils cheminèrent jusqu'à ce que le soleil ait fait fondre le givre sur le tapis de mousse entre les bosquets de saules et les épicéas fins et noirs.
Au passage, Dyenen refermait ses doigts sur des saules gris et jaunes pas plus gros que le poignet. Le Corbeau en fit autant avec les troncs durs — saule lisse et épicéas noirs et écailleux, collants de sève. Les épicéas jaillissaient de terre, avec leurs branches sombres et inégales comme autant de barbes de harpon d'un Chasseur de Baleines.
Dyenen s'éclaircit la gorge et le Corbeau attendit qu'il parle en vain.
— N'as-tu pas d'incantations, vieil homme ? demanda le Corbeau avec impatience. Les chamans Morses utilisent des prières et des chants.
— Quel chaman peut partager ses incantations ? rétorqua Dyenen sans cesser de marcher.
— N'oublie pas ce que je t'ai donné en échange, insista le Corbeau.
Il avançait, yeux baissés, observant le sol, espérant apercevoir ce qui en valait la peine.
— Quel homme peut vendre des prières ? demanda Dyenen. Ce sont des présents des esprits, ils honorent un homme qui s'est préparé par de longues heures de jeûne, par des suppliques et des louanges, et dont l'âme est sensible aux beautés de la terre.
— Alors tu n'as qu'une peau de lynx à me donner ? lança le Corbeau, avec plus de virulence qu'il ne l'aurait souhaité.
Dyenen s'arrêta et tourna lentement la tête vers le Corbeau.
— J'offre ce qui est dans ton sac de médecine. Le pouvoir est une chose que chaque homme doit chercher lui-même. S'il en est digne, il le recevra. Dans ce sac se trouve le pouvoir d'aider ton peuple, de faire croître ton village, de garder les hommes en paix. C'est bien ce que tu veux, n'est-ce pas ?
— C'est ce que je veux, répondit le Corbeau, mais dois-je marcher sans arrêt pour le trouver ?
— Quoi ? Es-tu encore un gamin pour te fatiguer plus vite qu'un vieillard ?
Le Corbeau grinça des dents sous l'insulte mais ne broncha pas. Il leva les yeux vers les arbres, puis regarda au-delà vers la rivière avec ses berges sombres bordées d'une fine croûte de glace, l'eau charriait encore des tourbillons bruns de limon. Une loutre, comme une tache brune, fit surface puis disparut. Le Corbeau allongea le pas et eut bientôt quelques foulées d'avance sur Dyenen.
Que le vieil homme sache qui est l'homme et qui est l'enfant, se dit-il.
Le souffle de Dyenen se fit lourd. Le Corbeau sourit et accéléra davantage. Il parvint enfin à un endroit où la berge formait une colline. Saules et épicéas laissaient place à des buissons dont l'écorce fragile s'effritait au vent. Le Corbeau se retourna. Constatant que Dyenen ne le suivait plus, il s'assit pour l'attendre.
Il entonna un chant Morse de chasseurs que les hommes Rivières, mangeurs de poissons aux muscles mous, ne pouvaient connaître. Puis, Dyenen n'arrivant toujours pas, le Corbeau fit demi-tour. Dégoûté, il se faufila entre les arbres pour trouver enfin la trace de Dyenen qui s'écartait de la rivière. Le Corbeau suivit la piste et rejoignit le vieil homme.
Dyenen s'assit sur ses talons, le dos contre trois saules serrés l'un contre l'autre. Il leva les yeux sur le Corbeau.
— Dans les temps reculés, il y avait un corbeau, commença-t-il. Très rapide. Il méprisait le porc-épic, si lent, et chaque jour le défiait à la course en riant. Chaque jour, le porc-épic refusait. Mais, un jour, las des sarcasmes du corbeau, le porc-épic accepta. La course ferait la longueur d'une certaine rivière.
» Le porc-épic savait qu'il lui faudrait une matinée de marche régulière pour parcourir cette longue distance, mais il se dit qu'après la course, le corbeau le laisserait tranquille et que cela en valait la peine. En outre, il y avait une délicieuse écorce au bout de cette rivière, la préférée du porc-épic. Le départ donné, le porc-épic se mit en route. Mais le corbeau prit son envol et s'éloigna, décrivant des cercles et des spirales dans le ciel, volant d'abord dans une direction puis dans l'autre jusqu'à être hors de vue. Le porc-épic ne leva pas les yeux vers le corbeau, se contentant de marcher, sans jamais s'arrêter.
» Finalement, juste
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