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Qui étaient nos ancêtres ?

Qui étaient nos ancêtres ?

Titel: Qui étaient nos ancêtres ? Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Louis Beaucarnot
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sera dix sous et la mise au carcan, car n’oublions pas que l’on vit constamment en public… Tout acte officiel doit donc s’y dérouler. Voilà pourquoi on a vu le pilori dressé sur la place du marché, voilà pourquoi la pénitence du pécheur est lue par le curé lors du prône. Voilà pourquoi le notaire prend l’acquéreur par la main pour le faire, devant témoin, entrer et sortir de la maison qu’il achète.
    Dès lors, il est logique et inévitable que, lorsque l’ordre est bafoué, le bruit et le tapage retentissent, à Mardi gras comme lors du charivari. Il est logique que l’on se dispute pour des problèmes de préséances, plus symboliques que futiles, comme à Vierzon, en 1756, pour savoir qui, de l’avocat du roi ou d’un échevin municipal, tiendra le flambeau qui allumera le grand feu de joie devant succéder au Te Deum célébré à l’occasion de la conquête de Minorque. De même, il est logique, que Maître Germain, chirurgien d’Yvoy-le-Pré, ait exigé à la fois le placardage et la lecture dans les églises de sa région de l’acte d’excuse des époux Bougard, qui avaient mis ses compétences en doute. Il est logique de voir, à Saint André-des-Alpes, l’importante Anne Chaillan poursuivre le domestique d’un autre seigneur qui a osé gardé sa coiffure sur sa tête lorsqu’elle est passée devant lui. Il est logique qu’en pleine rue de Lons-le-Saulnier, on puisse voir, en 1770, un père sexagénaire gifler son fils prêtre qui vient d’omettre de le saluer alors qu’il se hâte, de façon publique et visible, d’aller porter les sacrements à un malade. L’autorité paternelle doit être reconnue et admise, et plus encore en public qu’en privé.
    Mais quand la parole s’ajoute au geste sur un fond de silence, l’engagement est total et définitif. Les mots qui la composent aussi, et le fait qu’ils soient prononcés en public, ne peut que la rendre plus lourde de conséquence. Une parole signifiant un refus, adressée même indirectement, par exemple à l’entremetteur qui s’est contenté de suggérer la demande en mariage, et c’est la fierté blessée, la honte, et donc forcément la colère, la rancœur, la brouille, la haine et parfois le procès.
    Bien plus que leurs abeilles, nos ancêtres sont donc susceptibles, et cette susceptibilité maladive et obsessionnelle les conduit fréquemment à des impasses, qui sont autant d’occasions de procès. Procès pour la terre, que l’on se dispute âprement, mais aussi pour mille vétilles. Procès pour une vache qui va brouter l’herbe d’un pré ou les jeunes pousses d’une forêt replantée, procès pour la propriété d’un pied de châtaignier, procès on l’a vu, en 1850, pour une « civière de fumier » ou à Grasse, en 1791, pour un vol de figues : les causes en sont aussi futiles que sérieuses. Murs mitoyens, bornages, avec pour enjeu quelques arpents de terre ou d’herbe, disputes entre deux seigneurs ou deux curés pour un même hameau qui deviendra « alternatif », entre le maire et le curé pour la corde à demi effilochée permettant d’actionner la cloche – tout est matière à des procès, qui seront aussi impitoyables que longs (mais le temps, on le verra, se mesure lui aussi autrement). Susceptibles, nos ancêtres ne peuvent être que procéduriers.
    Dans cette civilisation de l’oral, personne, en fait, ne saurait avoir de repos tant qu’un bon écrit, officiellement « scellé » et paraphé, ne viendra conclure un accord en jouant sur les mots. Avant que l’acte du notaire soit signé, celui-ci l’aura souvent réécrit maintes fois, car il sait que la moindre rature ou la moindre postille peut avoir d’incalculables conséquences. Car l’écrit, bien plus exceptionnel et rare que la parole, a alors toute la prééminence.

3

Illettrés ou ignorants ?
    L’écrit, chez nos ancêtres, apparaît bien sûr limité. Il est limité dans sa fréquence, comme dans son accès. Très rare, cet écrit est réservé à une élite, à une petite catégorie de gens apperts , autrement dit éduqués – dont le contraire, malappert, à donné notre malappris –, mais cultivés, lettrés, bref à tous ces gens que l’on dit discrets, c’est-à-dire « capables de discerner », à la fois le bien du mal, le vrai du faux, le laid du beau, les œuvres de Dieu de celles de Satan.
    Longtemps, les prêtres furent ainsi qualifiés. Comme on parle d’« honorable Pierre

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