Raimond le Cathare
pressent dans les églises et déposent de modestes offrandes au pied
des autels. Les hérétiques, les catholiques, les juifs, tous prient car chacun
sait que la chute de la ville risquerait de lui coûter la vie.
C’est le combat final et je pressens
qu’il ne se terminera qu’avec ma mort ou celle de Montfort.
Les Toulousains attendaient un signe
du ciel. C’est ainsi qu’ils ont interprété l’arrivée de Raimond le Jeune. Nous
savions qu’il était en route mais la ville risquait de tomber d’un instant à
l’autre. L’apparition de ses couleurs et de toutes celles des chevaliers
provençaux qui l’accompagnent soulève l’exaltation des habitants.
Ils entrent dans la ville par les
portes du Bourg sans aucune difficulté ; le gros des forces adverses est
sur la rive gauche et les troupes demeurées sur la rive droite sont cantonnées
au sud pour protéger le château Narbonnais et le camp principal. Si bien que
Raimond le Jeune ne reçoit que des fleurs, des caresses, des compliments, des
baisers envoyés du bout des doigts. La ville est en liesse comme le jour de mon
retour, en septembre dernier. Les trompes des guetteurs lancent des sons de
triomphe, les églises font voler leurs cloches, une rumeur joyeuse monte des
rues où s’agitent les oriflammes.
Sur la rive opposée Montfort
s’étonne de cette, allégresse chez ceux qui, cernés de toutes parts, sont sur
le point d’être vaincus. Lorsqu’il apprend que la ville célèbre l’arrivée de
Raimond le Jeune, la brûlure de Beaucaire se réveille. Il entrevoit soudain le
pire. Convoquant ses chefs militaires, il leur annonce ses décisions.
— Avec le retour du jeune
Raimond, notre stratégie devient dangereuse. Nos forces sont divisées. Celles
qui sont sur la rive gauche ne parviendront jamais à franchir le fleuve pour
prendre la Cité et le Bourg. Elles sont donc inutilement soustraites à notre
armée de la rive droite, menacée elle-même par une attaque du jeune Raimond. Je
l’ai vu faire à Beaucaire. Il pourrait prendre d’assaut le château et le camp
principal de Tholosa Nova. Nous devons revenir sur l’autre rive pour regrouper
tous nos combattants. Ensemble nous prendrons la ville par la force.
Faute de pouvoir cerner et fermer
efficacement Toulouse, il revient à la stratégie des premières semaines du
siège : l’assaut massif contre les remparts de la cité en y jetant toutes
ses forces pour tenter d’ouvrir une brèche et de lancer une équipée jusqu’au
cœur de la ville, dont les défenseurs se disperseraient dans la panique. Mais
il sait que le temps joue désormais contre lui. Dans trois semaines, la
croisade se dissoudra. Les seigneurs et leurs chevaliers repartiront vers le
nord. Raimond le Jeune, lui, restera dans Toulouse avec ses Provençaux.
Montfort et les siens se retrouveront alors sous la menace des
Toulousains : il est donc condamné à réussir l’attaque qu’il prépare. À la
différence des assauts précipités de l’automne, il l’organise. Faisant appel
aux ingénieurs et aux charpentiers, il leur ordonne de construire la plus
grande chatte jamais vue sur un champ de bataille. Établissant leur chantier
hors de portée de nos tirs, ils se mettent à l’ouvrage aussitôt, travaillant de
jour comme de nuit à lueur des torches.
Montfort a réuni tous les seigneurs
de l’armée dans la cour du château Narbonnais :
— Nous devons faire tomber
cette ville avant la fin du mois. Et je vous promets un magnifique butin.
Pour stimuler l’ardeur des troupes,
il promet d’abandonner sa part à celui qui entrera le premier dans la ville.
— Quelle générosité !
ironise Amaury de Craon, l’un des seigneurs les plus titrés de l’armée arrivée
le mois dernier. Vous parlez comme si c’était chose faite. Mais nous ne sommes
pas encore dans la ville ! Les Toulousains ne se laisseront pas faire et
ils sont rudes. C’est bien leur droit de l’être. Vous les avez pillés et tués.
On peut comprendre qu’ils préfèrent leur seigneur légitime. Sachez que nous
sommes nombreux ici à ne pas aimer cette guerre. Pour nous faire prendre la
Croix et combattre à vos côtés, on nous a raconté des mensonges. Votre
protecteur, l’évêque Foulques, nous a trompés. On nous a parlé de cité
satanique, peuplée d’êtres diaboliques, pervers et lubriques. Nous n’avons
trouvé que de farouches combattants qui protègent leurs enfants et leurs
maisons, et de bons chrétiens
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