Romandie
que Henry Pelham Clinton, cinquième duc de
Newcastle, autre homme politique britannique peu favorable aux conservateurs
genevois, se trouvait, lui, dès le 4 octobre, à l’hôtel des Bergues, ainsi
qu’une douzaine de voyageurs arrivés d’outre-Manche. Dans le même temps, l’hôtel
de l’Écu abritait un certain Michel Galitzine, sujet russe, agitateur supposé, connu
de Fazy [194] .
— En somme, on pourrait penser que cette révolution, d’apparence
spontanée, fut préparée de longue main par Fazy, dont on sait les relations
internationales, observa Axel.
— On ne peut rien déduire formellement de ces présences
étrangères mais tout de même, cela aurait dû donner à réfléchir à ceux qui, comme
moi, connaissent l’art de l’intrigue politique souterraine pratiquée par les
sujets de Sa Majesté dodue ! conclut le général.
La lettre annuelle de Guillaume Métaz parut à Axel, en
janvier 1847, à la fois sereine et chagrine. Le Vaudois devenu américain
venait de fêter, entouré des siens, son soixante-quinzième anniversaire. Sa
santé ne donnait nulle inquiétude, mais le fait de toucher au terme de l’existence
le rendait mélancolique. « La vie est une drôle d’affaire, écrivait-il. Quand
on est malheureux, on voudrait qu’elle cesse et elle continue. Quand on est
heureux, ce qui est mon cas, on voudrait qu’elle dure et l’on sait qu’elle va
finir. Dieu l’a voulu ainsi et sa volonté est souveraine. » Cette
expression simpliste de la destinée humaine fit sourire Axel. C’était une
constatation de bon sens, à la vaudoise, qui valait toutes les philosophies. Guillaume
annonçait qu’il venait de céder la direction du consortium qu’il avait fondé, important
groupement de commerces et d’entreprises, à son gendre, époux de sa fille aînée
Johanna Caroline, née de son second mariage.
« John Francis Buchanan est un successeur selon mon
cœur. C’est un garçon brillant, diplômé de l’université Harvard et cousin de
James Buchanan, l’actuel secrétaire d’État [195] nommé en 1845 par le président des États-Unis, M. James K. Polk. John
milite pour l’abolition de l’esclavage et montre de grandes dispositions pour
les affaires. De plus, il m’a demandé de conserver mon bureau dans notre building car il entend me consulter avant de prendre toute décision, si bien que j’ai le
sentiment de rester le maître sans en avoir les fatigantes obligations. Il
projette, avec ma fille, un voyage en Europe et, naturellement, je l’enverrai
te voir, bien qu’aucun lien de parenté ne vous unisse, mais cela, seulement si
j’ai ton assentiment. Je voudrais que mes enfants américains connaissent mon
pays natal et notre beau Léman. » Guillaume révélait aussi les fiançailles
de sa troisième fille, Lorena Margaret, avec un médecin, mais ne donnait en
revanche aucune nouvelle de Blandine, la fille née de Charlotte. Axel imagina
qu’il avait rompu toute relation avec celle-ci et son gendre Calver, officier
de marine, rejeton d’une famille de planteurs esclavagistes de Louisiane.
Dans sa réponse, Axel expliqua qu’il serait enchanté de recevoir
les époux Buchanan, qu’il leur montrerait le pays de leur père et beau-père. Il
conseilla toutefois de différer le voyage jusqu’à l’été 1851, période où serait
sans doute organisée à Vevey, pour la troisième fois depuis le commencement du
siècle, la fête des Vignerons [196] . L’Abbaye venait
de réviser des règlements qui dataient de 1811 et se présentait maintenant sous
le nom de Louable Confrérie des Vignerons.
Cette lointaine perspective de réjouissances, qui d’après le
nouvel abbé-président « ferait accourir toute l’Europe à Vevey », ne
masquait pas le danger qui menaçait l’unité de la Confédération. Comme s’y
attendaient les esprits clairvoyants, l’arrivée au pouvoir des radicaux à
Genève, après qu’ils eurent triomphé dans le canton de Vaud, incitait les
libéraux des cantons conservateurs à mener des actions révolutionnaires. C’est
ainsi qu’au cours de la nuit du 6 au 7 janvier, trois groupes d’insurgés armés,
partis de Morat, d’Estavayer et de Bulle, avaient marché sur Fribourg, capitale
du canton, traînant les quatre pièces d’artillerie autrefois offertes à leurs
communes par le gouvernement fribourgeois !
Les autorités fribourgeoises soutenaient que le signal du
soulèvement avait été donné, de Berne, par
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