Serge Fiori : s'enlever du chemin
prépare maintenant la tournée. De temps à autre,
en cours de répétition, les musiciens entendent s’ouvrir la
porte du local, puis siffloter l’air du Parrain . Ils savent que
Georges vient d’arriver. Le père de Serge assiste aussi souvent qu’il le peut aux répétitions, aux tests de sons et aux
spectacles que donne son fils, au grand plaisir de celui-ci.
Dans son emportement, Georges ouvre un peu trop les
goussets, payant la traite ici, un souper là, pour faire plaisir ou pour briller, mais Serge ressent un certain malaise :
il sait que son père n’a pas les moyens de se montrer généreux, et qu’il plonge sa mère dans des ennuis financiers
considérables. Fiori tente toutefois de taire son inquiétude
en se disant que cela n’est pas de ses affaires.
Le lancement de Si on avait besoin d’une cinquième saison est prévu le quinze avril 1975, dans un petit restaurant
de la rue Prince-Arthur. Pour la circonstance, une véritable
marée humaine envahit la rue et les organisateurs n’ont
d’autre choix que de tenir l’événement à l’extérieur, pour
le plus grand plaisir des milliers de fans . Il faut mentionner
qu’ils auraient dû se douter que le restaurant ne suffirait
pas à contenir le public enthousiaste ; avant d’être lancé,
en prévente, l’album s’était déjà écoulé à cinquante mille
exemplaires, ce qui en faisait déjà un disque d’or !
L’enthousiasme semble à son comble, car Harmonium
vogue encore vers un immense succès commercial, tout
en ne faisant aucun compromis et en restant fidèle à ses
choix et à ses valeurs ; les membres du groupe mettent
de l’avant une créativité originale et singulière et proposent aux Québécois quelque chose d’innovateur. Pourtant,
tout n’est pas parfait aux yeux du groupe. Les musiciens
commencent à ressentir certains malaises à l’égard d’Yves
Ladouceur. Ils estiment que leur agent tronque parfois la
vérité pour s’accorder du crédit personnel, ou pour obtenir une certaine reconnaissance qui ne lui revient pas de
facto ; il prend des décisions douteuses et les musiciens ne
lui font plus entièrement confiance. Sa gérance est remise
en question.
Malgré cette petite ombre au tableau, Harmonium a
le vent dans les voiles. L’intégration des deux nouveaux
membres s’est parfaitement déroulée et la synergie entre
les musiciens est remarquable. Dans la foulée de la sortie des Cinq saisons (c’est dans cette version écourtée du
titre qu’est généralement désigné l’album), Harmonium
donne deux cents spectacles en un an dans la province.
Les musiciens jouent à guichet fermé partout où ils passent, et les représentations sont parfois aussi intenses que
des rituels religieux. Le groupe éprouve un plaisir absolu à
se produire, et le public répond avec ferveur : la chimie est
toujours au rendez-vous. C’est une combinaison unique
qui est à l’origine du succès d’Harmonium, une alchimie
qu’il est impossible de reproduire, comme le comprennent
bien vite d’autres groupes qui voient le jour à la même époque. D’excellents musiciens exploitant un son formidable
et dotés d’une créativité débordante n’accéderont pas au
succès exceptionnel d’Harmonium.
Quand
Fiori,
avec
la
caravane
d’Harmonium,
arrive
dans une nouvelle ville, un sentiment profond l’habite :
il éprouve la conviction qu’il parviendra à soulever la cité
pour lui offrir une tonne d’amour. Les affiches d’Harmonium tapissent tous les murs de l’endroit, les albums du
groupe ornent les vitrines des disquaires. On sent que des
moments magiques se préparent. Une vague de fond, tant
musicale que nationaliste, déferle sur les lieux. Les membres d’Harmonium sont consciencieux et méthodiques, et
les tests de son peuvent parfois durer quatre ou cinq heures, car les musiciens ne visent rien de moins que la perfection. Tout est fait pour satisfaire le public et le groupe
refuse toujours la présence des médias durant les spectacles. Les moments de grâce ne peuvent avoir lieu que lors
d’une communion stricte entre les musiciens et le public, live , sans intermédiaire. Ce dévouement à ses fans, Harmonium l’a bien montré quand, durant cette tournée, les
musiciens du groupe ont dû jouer assis au bord de la scène,
entourés de chandelles et de cierges, parce que l’électricité
avait manqué. C’est dire leur besoin, leur détermination
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