Stefan Zweig
manquent pas de charme. Le premier, publié chez Fischer, s’intitule – tout un programme ! – Traum-Menschen (Hommes de rêve). Cette femme franche et rigoureuse au cœur insatisfait nourrit la conception la plus noble de l’amour : elle le place au firmament des valeurs.
Pour Zweig, elle éprouve un véritable coup de foudre. La scène se passe, l’été 1908, chez Stelzer, une taverne de la banlieue viennoise où un groupe d’écrivains et de poètes a organisé, comme souvent dans cette ville de fêtes, une petite soirée, autour du Heuriger , le vin blanc nouveau. Un de ses amis lui présente Stefan Zweig mais lorsqu’elle l’entend réciter, dans un allemand mélodieux, des vers de Verhaeren qu’il a lui-même traduits, elle est conquise pour la vie. Il répond à son idéal du prince charmant : élégant et plein de talent, de surcroît écrivain. Quel homme, cette romancière en herbe pourrait-elle préférer ? Elle n’oubliera pas cette première rencontre. Le hasard le remet sur sa route, deux ans plus tard, l’été 1912. Son mari et elle dînent dans les jardins du Riedhof avec quelques amis, dont l’un vient précisément de lui offrir les Hymnes à la vie de Verhaeren, traduits par son cher écrivain. A une table voisine dîne Stefan Zweig. Elle y voit un signe du destin. Elle lui écrit le lendemain pour lui dire, à mots découverts, tout ce qu’elle ressent.
Se souvenait-il lui de Friderike Maria von Winternitz ? Rien n’est moins sûr. Le coup de foudre n’aura pas été réciproque. Mais la lettre, en revanche, l’intéresse et même au-delà. Elle provoque sa curiosité, excite son désir d’aventure, et choque à l’évidence, ce qui n’est pas pour lui déplaire, son code des conventions. Il y voit une expérience à faire, il est émoustillé. Tenté, bientôt séduit, et l’objet de mille attentions, il se verra pris au piège de la belle inconnue. Car c’est elle qui des deux a voulu l’autre, et pris les devants de son désir. Plutôt moderne dans un monde qui voue la femme à l’obéissance, à l’effacement et à la discrétion, elle s’excuse de commettre une inconvenance, mais la commet quand même, car des deux c’est elle qui sait clairement ce qu’elle souhaite. « Je n’y vois pas scandale », lui écrit-elle dans sa toute première lettre 1 , le 25 juillet 1912, plaçant sous l’augure de la littérature, « mon univers le plus cher », leur rencontre au Riedhof. Mais elle ne révèle pas encore son identité. Elle attend d’abord de savoir quelle sera sa réaction : sera-t-il agacé ou amusé par son audace ? Dans la seconde lettre, enchantée d’avoir obtenu une réponse par retour du courrier, elle l’invite à lui téléphoner au bureau de poste – « j’aimerais entendre votre voix » – et, laissant tomber l’anonymat, elle signe cette fois de son nom de femme, précisant en post-scriptum : « Vous voulez certainement savoir si mon nom est précédé de Madame : oui. »
Les lettres circulent tout l’été, entre Vienne et Mannigfallmühle, un coin de campagne aux environs de la capitale où Friderike passe des vacances avec ses filles. La plus jeune, Suse, a de graves ennuis de santé, à deux ans elle a failli mourir, et sa mère prend soin de sa convalescence dans un air plus vivifiant. Ce n’est que fin septembre que les deux épistoliers se voient dans l’intimité, à Döbling, banlieue où Friderike vit seule, du moins sans Felix von Winternitz, dans une petite maison avec ses fillettes. Zweig arrive avec un exemplaire de Première expérience , sa dernière nouvelle imprimée. Mi-novembre, elle lui rend visite dans sa garçonnière, Kochgasse. Et ils fêtent ensemble à Lübeck où elle est l’envoyée spéciale du Hamburger Fremdenblatt , le succès de La Maison au bord de la mer , la seconde des pièces de théâtre de Stefan Zweig. C’est Friderike qui en a écrit la critique, élogieuse, cela va sans dire. « Vous accumulez tant de bonheur dans mon cœur », lui dit-elle dans leur correspondance, « je retiens mon souffle afin de ne pas être pour vous plus que vous ne le désirez. Mais c’est ce qu’aimerait être du plus profond de son âme, de toute sa personne, Friderike Maria von W. » Le 6 décembre, un court billet de Friderike traduit une nouvelle étape dans leurs relations : elle et lui se tutoient, ils sont liés désormais, et elle signe, amoureusement, Fri Maria. Bientôt
Weitere Kostenlose Bücher