Théodoric le Grand
l’ai trouvé dans la fourrure de nuit de Dame
Swanilda, la première fois que je l’ai déroulée. Je pensais que vous vous
demanderiez où il était passé. Et comme je vais bientôt mourir…
Je n’avais jamais vu cet objet. Et le fait de l’avoir sous
les yeux tempéra momentanément ma rage, mon égarement et ma détresse. C’était
un petit bandeau tissé de feuilles et de vrilles, une de ces jolies petites
couronnes de fleurs qu’aiment à poser sur leur front les jeunes filles qui se
promènent dans les jardins. Je pensai d’abord que Swanilda avait dû la
fabriquer pour passer le temps, car je ne l’avais jamais vue la porter. Puis je
remarquai qu’elle était faite… de feuilles de chêne, devenues sèches et
friables, et de bouquets de minuscules fleurs de tilleul, encore parfumées bien
que fanées. Je me remémorai la légende du chêne et du tilleul, et compris
pourquoi Swanilda avait confectionné cette couronne avec passion, et pourquoi
elle l’avait conservée. Je ne cessai de la tourner et retourner entre mes
mains, et finis par dire tout doucement, tristement, presque tendrement :
— La prédiction que le vieux Meirus a faite un jour… je
pense qu’elle était fausse. Je pense que Swanilda, où qu’elle se trouve, n’a
jamais cessé de me chérir.
— Où qu’elle se trouve, ja, fit Lombric,
reniflant avec compassion. Et où qu’elle soit aujourd’hui, c’est Thor qui l’y a
envoyée.
Je levai les yeux de la rustique couronne pour foudroyer
Lombric du regard, mais n’eus même pas besoin de parler. Il se déroba
craintivement devant moi, l’air encore plus coupable et plus effrayé, et
bredouilla :
— Je pensais que vous saviez, fráuja. Comme je
l’ai dit, vous sembliez assez joyeux. C’est Thor qui l’a maîtrisée, a passé le
nœud autour de son cou et l’a hissée en haut de la poutre d’angle du hangar
avant de tirer, de la secouer et de la faire tourner jusqu’à ce qu’elle
s’étrangle. Je pense que Thor savait pertinemment que j’étais là, tapi dans la
pénombre, mais qu’il n’en avait rien à faire. C’est pour cela que j’ai pensé
que vous et lui… que vous et elle, je veux dire…
— Suffit, fis-je d’une voix enrouée. Tais-toi.
Il ferma la bouche d’un coup sec, et je restai là à méditer
quelques instants, contemplant la couronne de chêne et de tilleul entre mes
mains. Quand je repris la parole, j’avoue que je me fichais éperdument de ce
que Lombric pourrait faire de mes mots :
— Tu avais raison. C’est vrai. Comme si j’avais
véritablement conspiré avec lui, j’ai tacitement approuvé chacun des méfaits de
ce maudit salopard de fils de pute. Thor et moi ne sommes que les deux faces
d’une même pièce, de vil métal. Il va falloir la remettre au four, afin de la
faire fondre et de la purifier. Pour cela, je dois d’abord expier. Je vais donc
commencer par te faire grâce, Lombric. Dorénavant, je t’appellerai Maghib, par
respect pour toi. Prépare nos chevaux. Nous allons partir. Et nous ne serons
que deux. Selle ma monture, la tienne, et charge nos bagages sur la dernière.
Je jetai la couronne au loin, afin de ne pas en être
encombré, et tirai mon épée du fourreau. Puis je retraversai l’écurie, la cour,
et me dirigeai vers l’ hospitium où je gagnai la salle à manger. Je la
parcourus du regard, mais Thor ne s’y trouvait plus. Je montai quatre à quatre
les marches menant à notre chambre, et trouvai la porte entrouverte. Thor y
était passé, et s’était à l’évidence empressé de filer, à en juger par le
désordre qui y régnait. Fourrageant rapidement parmi les affaires qu’il avait
laissées, je constatai qu’il avait revêtu sa tenue féminine et n’avait emporté
que les vêtements et autres objets personnels de Geneviève. Rien de Thor,
excepté son épée. Je m’aperçus aussi qu’il s’était emparé d’un article
m’appartenant : l’ornement de poitrine en bronze dont il s’était entiché à
l’instant où il l’avait trouvé.
J’entendis en bas un bruit de cris confus et me penchai à la
fenêtre. Dans la cour, le veilleur de l’ hospitium et une grappe de
serviteurs et de palefreniers tournoyaient en tous sens, tandis que le
propriétaire demandait en hurlant l’aide d’un lékar, un medicus. Je
me ruai aussitôt jusqu’à l’écurie, et trouvai Maghib gisant allongé sur la
paille, entre nos deux chevaux sellés. Dépassant de sa poitrine, je reconnus
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