Toute l’histoire du monde
révolution soumis » à un secrétaire général tout-puissant.
Cette conception va marquer l’imaginaire politique. Longtemps, quand on disait « le Parti » avec une majuscule et sans adjectif, il ne pouvait s’agir que du parti communiste. Aujourd’hui encore, du moins en France, les partis, même de droite, sont organisés sur ce modèle.
En 1902, Lénine n’était pourtant que le chef de la majorité bolchevique du parti social-démocrate russe. En 1912 seulement, il fonda le « Parti » et son journal, la Pravda. Revenu en Russie après février 1917, il ordonna à son organisation de prendre le pouvoir et se cacha lui-même en Finlande, ne regagnant Pétersbourg qu’à la veille de son coup d’État.
La révolution d’Octobre ne fut pas, comme la Révolution française, un changement de décor quasi involontaire. Le peuple y eut peu de part. Quelques milliers de militants communistes mirent la main sur les centres névralgiques de l’État : non seulement l’Assemblée et le Palais d’Hiver, mais aussi les centraux téléphoniques et télégraphiques, les casernes, les gares, les usines, à Pétersbourg comme à Moscou. Lénine contrôla ainsi les deux capitales et la voie ferrée qui les reliait, sur laquelle circulaient des trains blindés ornés du drapeau rouge (Lénine ayant pris comme étendard le drapeau de la Commune de Paris).
Malaparte, écrivain italien, admirateur de Lénine, écrira à ce sujet Technique du coup d’État. Le coup d’État léniniste devint le modèle des coups d’État modernes. La révolution d’Octobre, qui incarne le mythe de Spartacus, la révolte contre l’ordre, fut en réalité imposée à un peuple, consentant mais abusé par des intellectuels bourgeois (dont Lénine) convertis aux idées de Karl Marx, lui-même issu d’une bonne famille.
Bien sûr, les généraux fidèles au tsar (Denikine, Wrangel, Koltchak) lancèrent leurs troupes contre les Soviétiques en 1918. Les militants ne pouvant évidemment pas affronter des armées aguerries, Lénine demanda à son compagnon Trotski (de son vrai nom Lev Davidovitch Bronstein), nommé commissaire du peuple à la Guerre, de créer l’Armée rouge. Trotski, s’inspirant de Carnot, réussit à faire ce que la Convention avait fait cent vingt ans plus tôt : l’amalgame entre des officiers de carrière de gauche, les militants et les marins de Kronstadt. Il écrasa successivement les « armées blanches », les Occidentaux restant passifs malgré l’envoi de navires en mer Noire et de quelques troupes à Odessa et Vladivostok. Le dessinateur Hugo Pratt a consacré un album à cet événement : Corto Maltese en Sibérie. Français et Anglais n’avaient aucune raison de porter la Russie dans leur cœur, celle-ci les ayant lâchés en plein combat.
En effet, au début de 1918, par la paix de Brest-Litovsk, Lénine avait abandonné une partie du territoire aux Allemands. Lénine, admirateur de la Convention, se permit de faire ce que Robespierre et Saint-Just (qui fut, avant Trotski, commissaire aux Armées) n’auraient jamais fait : accepter la défaite extérieure pour mieux consolider le pouvoir intérieur. Lénine fit assassiner le tsar Nicolas et sa famille à Iekaterinbourg.
Différence essentielle, mais trop peu soulignée : la Révolution française fut une révolution de la victoire ; la Révolution russe fut une révolution de la défaite.
Cela explique beaucoup de choses. La victoire étant meilleure conseillère que la défaite, la Révolution française put s’arrêter aux « limites fixées » par Bonaparte. La défaite ne portant pas à la sagesse, la Révolution russe en sera incapable.
Le recul des frontières fut d’ailleurs entériné en 1920 par le traité de Riga. Les frontières russes reculèrent de 500 kilomètres.
Là aussi, il y a une leçon : pour les Russes, l’espace ne compte pas. La France ne peut reculer de 500 kilomètres sans se retrouver à Châteauroux ; quand les Russes reculent de 500 kilomètres, la Russie existe toujours (c’est à nouveau le cas aujourd’hui, la Russie de Poutine s’étant rétrécie aux limites de celle d’Ivan le Terrible).
Il faut dire que, dans l’esprit de Lénine, la Russie n’était qu’une étape. Il méprisait les moujiks arriérés et, fidèle marxiste, croyait que la véritable révolution ne pouvait éclater que dans des pays industrialisés aux classes ouvrières nombreuses – France, Angleterre,
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