Un long chemin vers la liberte
une fenêtre sur le monde. Nous avions aussi une radio mais elle ne recevait que les stations locales et pas ce que nous voulions : le service international de la BBC. Nous avions le droit de passer toute la journée sur la terrasse, sauf entre midi et deux heures quand les gardiens prenaient leur repas. Nous n ’ avions même pas besoin de faire semblant de travailler. J ’ avais une petite cellule à côté de la grande qui me servait de bureau, avec une table, une chaise et des étagères où je pouvais lire et écrire pendant toute la journée.
A Robben Island, je faisais ma gymnastique dans ma cellule encombrée, mais à Pollsmoor, j’avais de la place. Je me réveillais à cinq heures du matin et faisais une heure et demie d’exercice dans la cellule commune : course sur place, corde à sauter, assouplissements et tractions. Mes camarades n’étaient pas des lève-tôt, aussi mes activités m’ont-elles vite rendu impopulaire.
Winnie est venue me rendre visite peu après mon arrivée à Pollsmoor et j’ai eu le plaisir de découvrir que les parloirs étaient beaucoup plus modernes qu’à Robben Island. Nous étions séparés par une grande vitre qui permettait de voir le visiteur jusqu’à la taille et, les micros marchant beaucoup mieux, nous pouvions nous entendre sans effort. Cette baie vitrée donnait au moins l’illusion d’une plus grande intimité et, en prison, l’illusion peut apporter un réconfort.
Pour ma femme et ma famille, il était beaucoup plus facile de venir à Pollsmoor qu’à Robben Island. La surveillance des visites devint elle aussi plus humaine. Souvent ; les visites de Winnie étaient surveillées par l’adjudant James Gregory, un ancien censeur de Robben Island. Je ne l’avais pas bien connu, mais lui nous connaissait parfaitement, parce qu’il avait lu notre courrier au départ et à l’arrivée.
A Pollsmoor, je l’ai trouvé très différent des gardiens typiques. Il parlait poliment et s’adressait à Winnie avec courtoisie et déférence. Au lieu de hurler : « C’est l’heure ! » il disait : « Mrs. Mandela, il vous reste encore cinq minutes. »
La Bible nous dit que le jardin précède le jardinier, mais ce n’était pas le cas à Pollsmoor, où j’ai cultivé un jardin qui est devenu l’un de mes plus heureux divertissements. C’était ma façon personnelle de fuir l’univers de ciment qui nous entourait. Après avoir contemplé pendant quelques semaines l’espace vide de la terrasse que nous avions sur notre toit et la façon dont le soleil le baignait toute la journée, j’ai décidé de faire un jardin, et le commandant m’en a donné l’autorisation. J’ai demandé aux services de la prison seize fûts à huile de deux cents litres que j’ai fait scier en deux. Les autorités les ont remplis de terre riche et humide, et j’ai obtenu ainsi trente-deux pots de fleurs géants.
J’y faisais pousser des oignons, des aubergines, des choux-fleurs, des carottes, des concombres, des brocolis, des betteraves, des laitues, des tomates, des poivriers, des fraises et beaucoup d’autres choses. J’ai fini par avoir une sorte de petite ferme avec près de neuf cents plantes ; un jardin bien plus grand que celui de Robben Island.
J’achetais certaines semences, mais d’autres – comme celles de brocolis et de carottes – m’étaient fournies par le commandant, le général Munro, qui les aimait beaucoup. Les gardiens me passaient aussi des graines des légumes qu’ils aimaient et on me donnait un excellent fumier comme engrais.
Chaque matin, je mettais un chapeau de soleil et des gants épais, et je travaillais au jardin pendant deux heures. Le dimanche, je fournissais des légumes à la cuisine afin qu’on puisse préparer quelque chose de spécial aux prisonniers de droit commun. Je donnais aussi une bonne partie de ma récolte aux gardiens, qui apportaient des sacs afin de pouvoir transporter les légumes frais.
A Pollsmoor, nous avions moins de problèmes qu’à Robben Island. Le général Munro était un homme correct et serviable qui s’efforçait de nous donner ce que nous voulions. Cependant, de petites difficultés prenaient parfois des proportions considérables. En 1983, pendant une visite de Winnie et de Zindzi, j’ai dit à ma femme qu’on m’avait donné des chaussures trop petites qui me serraient le gros orteil. Winnie s’inquiéta, et bientôt j’ai appris que la presse disait
Weitere Kostenlose Bücher